Le poids des revers et l'impératif d'un nouvel élan

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Les déchirements qui se sont produits depuis le début de l’année 2011 dans l’espace géographique de certains pays arabes, sous le vocable de ‘’printemps arabe’&lsquo,; lequel commence à montrer sérieusement ses limites et à arborer de multiples dangers, ont, malheureusement aussi, malmené froissé et relégué au second plan le projet de l’Union maghrébine dont l’initiative remonte à 1987.

Par Amar Naït Messaoud

Depuis le sommet tenu alors à Zeralda, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’incompréhension, de la suspicion et d’un mortel statu quo. Sous le nouvel ordre politique, faussement printanier, certaines parties de cet ensemble géoculturel se sont retrouvées dans une remise en cause historique, négociant leur destin à l’ombre d’un intégrisme ravageur, insatiable, nourri sous les dictatures des décennies précédentes.  Après la mort de Bouazizi, en s’immolant par le feu dans un marché de rue où un policier donna un coup de pied à ses étals, la révolte gagne toute la Tunisie; et le couple Benali prend la fuite vers l’Arabie Saoudite. La révolution, faite par les enfants de la rue et, de plus, encadrée par des intellectuels laïcs de gauche, fut rapidement confisquée par le mouvement islamiste Ennahdha de Rachid Ghanouchi, interdit depuis 1987.  La Libye a été l’autre pays maghrébin à changer de gouvernants à la suite d’une action de l’OTAN qui avait précipité le départ de Kadafi. Une terrible instabilité politique et institutionnelle grève encore le pays, sous la menace permanente d’un terrorisme couplé à des vendettas tribales. Le sommet de l’insécurité fut atteint lorsque l’ambassadeur américain a été lynché et assassiné. Un scénario de même acabit a été fomenté à Tunis contre l’ambassade américaine pour protester contre un film, diffusé aux USA, lequel, dit-on, avait ‘’porté atteinte aux valeurs de l’Islam”.  

La chute de Kadhafi a inexorablement entraîné des mouvements d’instabilité en cascades, genre de répliques sismiques à l’échelle régionale. Le cas du Mali, aujourd’hui, est éloquent.   Sous la menace d’un vent de révolte généralisée, Le Maroc a essayé de devancer la situation par des réformes promises et promues par le roi. Les élections législatives ont abouti à un gouvernement islamiste ‘’modéré’‘. L’islamiste ‘’hard’&lsquo,; Abdessalam Yacine, est mort le 13 décembre dernier; et c’est sa fille, Nadia, qui prend les commandes de son organisation El Adl ou Al Ihsane. L’opposition ose casser les tabous et appeler à une monarchie constitutionnelle. Le roi, de son côté casse d’autres tabous et institue tamazight comme langue officielle.  En Mauritanie, la succession des coups d’État, la faiblesse de l’économie, la situation du pays dans le couloir sahélien qui se ‘’donne’‘ pour vocation de devenir le réceptacle du terrorisme international, et, enfin, une forme de ‘’contagion’‘ de Printemps arabe, forment une mixture explosive. La situation s’aggrave indubitablement avec la nouvelle guerre au Mali, à la frontière de ce pays. Un expert mauritanien juge que le grand perdant de cette guerre sera justement son pays, vu qu’il n’est pas à même de sécuriser sa frontière.  L’Algérie, qui a échappé au Printemps arabe malgré les tentatives que certaines parties ont menées dans ce sens, se trouve aujourd’hui entourée de voisins peu stables et bouillonnants. Notre pays a immanquablement payé une lourde facture des errements que nous a valus l’histoire récente. Juste après la révolte sanglante d’octobre 1988, le pays entra dans un tunnel pendant presque quinze ans; tunnel fait de terrorisme islamiste, lequel a fauché des dizaines de milliers de vies humaines et détruit une partie des infrastructures du pays. Le pouvoir politique, conscient que les Algériens sont échaudés par une guerre civile qui ne dit pas son nom, mais aussi conscient que le modèle politique autocrate a montré ses limites, a initié des réformes politiques (loi électorale, loi sur les partis, loi sur l’audiovisuel privé révision constitutionnelle pour l’année 2013), supposées ‘’décompresser’‘ la situation, en attendant le grand tournant de la fin du mandat de Bouteflika. Mais, pour une population de plus de 37 millions d’habitants, dont près de 70% sont des jeunes, en fait de grand tournant, il s’agit de savoir quel avenir social et économique leur réserve le pays en dehors du très fragile profil des hydrocarbures qui représentent aujourd’hui 98 % des recettes extérieures du pays. Logement, emploi, amélioration des services publics, une université performante, une politique tendue vers l’épanouissement de la jeunesse, et d’autres challenges encore attendent les Algériens d’aujourd’hui. L’urgence est d’autant plus ressentie que notre pays semble évoluer comme une oasis d’une relative ‘’tranquillité” dans un océan turbulent, soumis à rude épreuve par la grande géostratégie mondiale, dont le terrorisme représente le bras séculier. La plupart des observateurs qui suivent de près l’actualité politique, économique et sociale de notre pays voient en cette ‘’tranquillité’‘ le risque du poids de ‘’l’eau qui dort’‘. Pour capitaliser et consolider une situation post-traumatique, faite également d’aisance financière, et lui donner consistance et sens au profit de ses citoyens, il n’importe qu’à l’élite et à la classe politique du pays de descendre de leur piédestal d’où elles regardaient le peuple et la société de haut. C’est aussi là globalement, un idéal maghrébin pour des peuples qui n’arrivent pas encore, un demi-siècle après la décolonisation, à goûter vraiment à leurs indépendances. Les camisoles politiques qui ligotaient les peuples jusqu’à un passé récent, les empêchant de communiquer, de coopérer et de se donner un destin commun face aux grands regroupements régionaux et aux défis économiques et stratégiques y afférents, sont, depuis 2011, relayées par d’autres contraintes qui hypothèquent un peu plus l’idéal d’union et d’intégration. Il s’agit de ces chamboulements charriés par le pseudo printemps arabe, et qui font perdre les repères à un passage supposé servir de transition entre les autocraties et l’ère démocratique. 

Seul un cadre démocratique pourrait l’accueillir 

En tout cas, il est établi qu’aucune espèce d’union ou d’intégration maghrébine ne peut se réaliser et donner ses fruits en dehors du cadre démocratique, où les sociétés civiles, les organisations politiques, les entrepreneurs et les créateurs culturels sont censés trouver leur terrain d’évolution, de promotion et de coopération mutuellement bénéfique. C’est à ce moment-là seulement qu’on aura dépassé les simples messages de félicitations et de condoléances que s’adressent habituellement les chefs d’États à l’occasion de fêtes religieuses, d’accession au trône ou de décès. Il y a lieu d’apprécier à leurs juste valeur les efforts de Moncef El Marzouki, président transitoire de la Tunisie, tendant à réactiver l’Union maghrébine dans un contexte pourtant de patente adversité. Sur un autre plan, et ironie de l’histoire, la célébration, le 12 janvier dernier, de Yennayer, le nouvel an berbère, en Libye a revêtu un caractère exceptionnel qui a fait impliquer non seulement le monde associatif, mais également des officiels dans un pays qui ne s’est pas encore remis de la chute de Kadhafi. C’est là un autre élément fédérateur des pays maghrébins, plongeant dans l’immensité historique de cette région qui a vécu ses premières étapes de civilisation bien avant l’apogée de l’empire romain et bien avant la réalisation des grandes sculptures de Phidias.  Il s’agit d’une véritable profondeur historique, faite d’un parcours commun et d’une conscience de la communauté de destin. Une multitude de revers, de retournements et de déceptions sont malheureusement le lot commun de ces pays après leurs indépendances respectives. La force d’un Maghreb de 100 millions d’habitants, face aux autres regroupements régionaux et face au rouleau compresseur de la mondialisation, est un atout considérable, entrevu par les pères fondateurs des indépendances dès le début du 20e siècle (le premier parti nationaliste algérien, organisé selon les schémas modernes des organisations politiques, a pour nom l’Etoile nord-africaine).  Les élites politiques qui ont pris en main les destinées des pays maghrébins après les indépendances n’ont pas capitalisé la vision et la lutte commune; elles se sont enfermées dans une tour d’ivoire faite de pouvoir personnel, de dictature et de rapine. Aujourd’hui, les défis économiques et politiques communs interpellent les classes politiques des pays maghrébins, les élites intellectuelles, les producteurs culturels, les syndicats, les associations et les producteurs de richesses (entrepreneurs), pour tisser des liens solides, dépasser les susceptibilités personnelles et jeter les passerelles d’une future intégration globale. 

A. N. M.

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