Difficile renaissance d’une commune

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En effet, l’image stéréotypée — mais qu’elle n’avait pas usurpée — était celle d’un purgatoire pour ses enfants et d’un coupe-gorge pour ses visiteurs. C’était l’ambiance putride et sanglante dont le “destin” a frappé non seulement la commune du Guerrouma, mais aussi l’ensemble des communes voisines appartenant au même système montagneux de la wilaya de Bouira : les Monts de Zbarbar qui font partie de l’Atlas blidéen. La municipalité qui a bien sûr “ravi la vedette” en matière d’insécurité était, sans conteste, Zbarbar, un nom qui a fait le tour des rédactions d’Algérie et de l’étranger.Le vent de la Concorde civile qui a soufflé sur les sommets de Zbarbar n’a pas été sans effet sur la vie des citoyens. En même temps qu’ils commençaient à respirer l’air de la paix retrouvée, ils font la “comptabilité” de presque six ans de désordre, de replis et de meurtres. Outres les drames familiaux générés par la perte de proches ou les séquelles corporelles et morales, la société dans son ensemble commence maintenant à prendre la mesure du retard économique, de la pauvreté et du désarroi provoqué par la simple question de la survie.Perché à 650 m d’altitude, du chef-lieu de commune de Guerrouma domine la haute vallée de l’Isser, le cours d’eau le plus important dans la région et sur lequel se construit actuellement le plus grand barrage du Centre d’Algérie, Koudiat Acerdoune.Le village compte environ 5000 habitants, et est bien excentré par rapport au reste du territoire communal, dont la plus grande partie est située au nord sur la route du chef-lieu de daïra, Lakhdaria (ex-Palestro).Ici, on se sent plus près de Tablat (wilaya de Médéa) que de Lakhdaria, et cela pour une raison bien simple : la route qui est plus accessible vers cette direction et la proximité géographique qui place Guerrouma à environ 10 km de Tablat. La plupart des habitants du sud de la commune (Diour, Aïn Beïda, Zouaten) font leurs emplettes, se soignent et cherchent du travail à Tablat. La route qui descend sur l’ex-Palestro, le CW 93, est non seulement longue (une quarantaine de kilomètres) mais surtout tortueuse, dessinée en fers à cheval et emprunte des cantons forestiers ombragés. “J’ai bousillé la boite à vitesse de mon tracteur agricole sur cette route ; j’ai juré de ne plus l’emprunter dans le sens de Lakhdaria que par taxi ou autre transport public”, nous dira Ahmed qui habite une bourgade à la limite du village de Guerrouma.

Un livre généreux

Salah, portant le poids des ans sur son visage buriné, se plaint de l’indisponibilité de l’eau potable dans une région qui a failli être emportée par les eaux de pluie de cet hiver “trop généreux”. “C’est à partir d’un puits au bord de l’oued que je m’approvisionne chaque jour ; et pour remonter la pente du versant de Zerarka, il faut avoir les jambes bien accrochées et le souffle long”, se lamente-t-il. Il finit par s’emporter quand il évoque le manque d’emploi dans la région et qui “a été pour beaucoup dans la déviation qu’a subie notre jeunesse pendant la dernière décennie. Regardez ! Les seuls espaces de plaine qui existent ici ont été confiés à des gens qui n’y travaillent pas. Ils ont tous d’autres occupations en dehors du patelin et prennent en otage les terrains agricoles de la vallée. C’est le président Boumediène lui-même qui a inauguré le village socialiste de Aïn Beïda ; qu’en reste-t-il à présent”?Etalée sur une superficie de 9.700 ha, la commune de Guerrouma possède une superficie agricole utile (SAU) de 4.743 ha formée de terres de piémonts ou de vallées le long de l’Oued Isser. Au relief très accidenté, ces collines et monticules sont couverts de végétation forestière sur environ 1.610 ha, mais se trouvant dans un état souvent dégradé, conséquence des incendies qui ont jalonné les “années de braise”. Les autres destinations du sol sont, soit des parcours qui font vivre médiocrement le cheptel ovin et bovin, soit des zones improductives.Dans le village de Zouaten, attenant au chef-lieu de commune, comme dans la bourgade de Diour, les gens évoquent avec un brin de nostalgie, la tradition du tapis local qui a connu ses heures de gloire dans un passé récent. Ils pensent que cela peut constituer une intéressante source de revenus si les pouvoirs publics arrivent à se pencher sur ce créneau pour faire renaître ou simplement réveiller une pratique sociale et culturelle bien vivante dans les esprits.C’est un éleveur de lapins, qui nous relate un épisode fort émouvant de cette tradition naguère prise en charge par des mains industrieuses. “Dans une exposition à Bruxelles à la fin des années 1980, le tapis de Guerrouma s’est imposé par son esthétique particulière, son originalité et la qualité de sa confection. L’objet exposé n’avait pas besoin de publicité ; il se suffit à lui-même. C’est une Française qui connaissait bien la région qui l’avait introduit dans le forum bruxellois”.Des vieux regrettent aussi l’abandon de l’arboriculture par la jeunesse actuelle. “Vous voyez de vos propres yeux, ces milliers d’oléastres restés sauvages. Du temps de notre jeunesse, on les transplantait, on les greffait en oliviers et on les entretenait. Maintenant, nos enfants, dès qu’ils quittent l’école — et ils la quittent souvent à l’âge de 16 ans à 18 ans —, ils émigrent vers des cieux plus cléments : Baraki, Gué de Constantine, Réghaïa, etc. Nous ne pouvons rien faire ; nous sommes ligotés.”Les statistiques de la wilaya montrent un taux de chômage de 48,71% sur l’ensemble de la population active. Cependant, des bourgades voient ce taux monter jusqu’à 70%. Certains esprits optimistes misent sur les bienfaits du Barrage de Koudiat Acerdoune (capacité : 640 millions de m3) actuellement en construction dans la commune voisine de Maâla et dont le plan d’eau débordera sur la commune de Guerrouma. D’autres, en revanche, lient le développement de la région à la conjonction de plusieurs facteurs, aussi déterminants les uns que les autres : programme d’habitat, électrification, routes, salles de soins, transport,… Une chose est sûre : avec le retour de la sécurité et l’arrivée sur la scène d’une jeunesse, qui était à l’école primaire au début des évènements funestes qui ont balayé la région au début des années 1990, de nouveaux besoins et de nouvelles exigences voient le jour dans une commune qui est capable de sortir de l’inertie pour peu que toutes ses potentialités physiques et humaines soient mobilisées d’une façon rationnelle.

Amar Naït Messaoud

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