52 heures dans un placard…

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La surprise, puis l’angoisse et la terreur. Trois mots qui reviennent sans cesse chez les travailleurs du site gazier de Tiguentourine qui ont subi le drame. Ils n’arrivent toujours pas à s’en remettre. Leurs témoignages font ressortir la violence extrême de la prise d’otages qui s’est déroulée le 16 janvier dernier.  

De notre envoyé spécial à Tiguentourine, Ferhat Zaafane

Les stigmates de l’attaque terroriste sont encore là. La façade noircie de l’unité sud de l’usine, sérieusement endommagée, témoigne de l’ampleur de l’attaque. Le train n°3, éclairé par le soleil éclatant du désert, a été touché de plein fouet. Plus d’un mois après la spectaculaire prise d’otages, Tiguentourine (racines d’une forêt morte, en berbère) s’efforce douloureusement de reprendre vie, tout en gardant en mémoire les séquences tragiques de l’attaque meurtrière venue troubler la quiétude d’un désert légendairement serein. Les travailleurs, pour la plupart originaires de Kabylie, que nous avons rencontrés, dimanche dernier au cours de notre déplacement au lieu précité dans le cadre de la visite de travail du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, semblent encore groggy et arrivent difficilement à tourner la page de ce drame. Leurs témoignages ont porté sur l’attaque barbare perpétrée contre la base de vie des travailleurs et le site gazier susmentionné. 

L’Hachemi de Takerboust et Kamel d’Iferhounène se remémorent la tragédie

L’Hachemi Bensadi, 32 ans et originaire de Takerboust, arrive difficilement à marcher. Mais, il est fier d’avoir sauvé la vie à une dizaine de ses compagnons, en les cachant dans sa chambre. « Je venais juste de finir ma tasse de café dans ma chambre et je m’apprêtais à me rendre sur mon lieu de travail. J’étais loin de me douter qu’en ouvrant la porte, j’allais me retrouver nez à nez avec deux terroristes armés, dont l’un d’eux m’a lancé en arabe, dans un accent similaire à celui des libyens : «Où sont les chambres des travailleurs étrangers? ». En quelques secondes, je me suis rendu compte que mon autre collègue, à quelques mètres de moi, avait reçu des coups de ces mêmes terroristes pour avoir refusé de leur apporter la réponse à cette même question. «Je ne sais pas où sont les étrangers», ai-je répondu. Les deux terroristes armés sont aussitôt repartis avant de me signifier qu’ils allaient revenir nous chercher.  Tout éberlué et ne sachant que faire, j’ai pris la décision, en compagnie de mes camarades (8 algériens et un philippin venus jouer une partie de dominos) de nous cacher et d’attendre … « C’est ainsi que nous sommes restés plus de 52 heures dans un placard, sans boire ni manger, jusqu’au moment où les militaires sont venus défoncer la porte pour nous sortir dehors. Nous ne savions quelle attitude prendre, après avoir compris qu’il s’agissait d’une attaque terroriste qui a conduit à la mort de dizaines de nos collègues. Le Philippin était très reconnaissant de savoir qu’on l’a sauvé de la mort. Il est rentré chez lui se reposer, mais il reviendra, nous a-t-on assuré », a lâché L’Hachemi avec un  sourire révélateur sur sa joie de revoir celui qui lui doit plus que la vie …  

Un autre rescapé de cette attaque terroriste, Kamel, 36 ans et originaire d’Iferhounène, nous a confié que lui, n’était pas sur les lieux et qu’il avait quittés le site la veille, mais qu’il avait vécu l’épreuve comme s’il y était présent. Il a vécu aussi de près le drame, confie-t-il, car «après tout, ce sont mes collègues, quelle qu’en soit la nationalité et il s’agit d’un acte terroriste perpétré dans mon lieu de travail». Cadre au site gazier de Tiguentourine de l’association Sonatrach-BP-Statoil, depuis près de sept ans, il est affirmatif : « Le réflexe de notre défunt collègue Mohamed Amine Lahmar, animé d’un sens du devoir et de responsabilité a pu donner l’alerte et épargner tout risque d’explosion du site». La première alarme déclenchée par le martyr a permis «la mise en en action de tout le processus du dispositif de sécurité» visant à mettre en échec tout risque d’explosion du site gazier, et ce, par l’arrêt complet du fonctionnement des installations. «En refusant d’ouvrir le portail de la base de vie de Tiguentourine, et en enclenchant l’alarme, Amine a faussé les calculs des terroristes», dira notre interlocuteur. Les assaillants ont compté sur l’effet surprise de leur attaque terroriste, avortée par le geste salutaire du défunt martyr Mohamed Amine Lahmar qui a déclenché l’alarme au prix de sa vie. M. Hafsi a été catégorique en nous apportant sa réponse quant aux capacités psychologiques à dépasser les séquelles de cette difficile épreuve par l’ensemble des travailleurs qui étaient en service le jour du drame. A l’extérieur du site, hautement protégé un gérant de café de cette ville du désert, Rabah (58 ans), n’a pas laissé filer l’occasion de dire ce qu’il avait sur le cœur en apprenant qu’on était journalistes venus avec la délégation ministérielle. « Avant cette attaque, In Amenas était considérée comme un havre de paix, en dépit de ce qui se passait en Libye et au Mali. Nous nous disions que le risque est de l’autre côté de la frontière, qui se trouve très loin d’ici. L’autre élément qui nous inspirait confiance, c’est la présence sécuritaire dans la ville et autour des sites industriels. Mais avec ce qui s’est passé on se rend compte que ce n’était que pure illusion », a-t-il laissé entendre. Et c’est justement le sentiment des habitants de cette région qui se voient, aujourd’hui, contraints de prendre cet aspect en considération, malgré une forte présence des forces de sécurité. 

F. Z.

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