«Nos médecins aiment l’argent !»

Partager

La commission santé hygiène et protection de l’environnement de l’APW de Tizi-Ouzou, présidée par Dr Msela, a tenu une réunion, avant-hier, pour débattre de l’état des lieux de la santé dans la wilaya, notamment à l’EHS Tassadit Sbihi.

Djamel Chaguetmi, directeur de la santé et de la population de Tizi-Ouzou, qui avait fait faux bond lors de la précédente session, s’est cette fois présenté au rendez-vous. Il s’est même distingué en faisant le procès de « quelques journaux » qui ont rapporté son absence, pour ne pas dire plus. M. Kitous, directeur de l’EHS Tassadit Sbihi ainsi que trois gynécologues dudit établissement étaient également parmi les présents. M. Kitous a présenté l’état des lieux, ainsi que le bilan des activités de l’année 2012. Très généraliste, il a fait part, aussi, de son « plan d’activité pour l’année en cours ». Lors de son intervention, M. Kitous expliquera que les capacités de l’EHS Sbihi sont arrivées à saturation. Et il sait bien de quoi il parle, lui qui a eu à gérer, déjà par le passé l’établissement sous la direction du même DSP, s’il vous plait !  

« Il est urgent de penser à des solutions, en termes d’espace mais aussi de renforcement de l’établissement en praticiens assistants en gynécologie obstétrique, puisque nous faisons face, actuellement, à un énorme volume d’activité avec un effectif de seulement trois assistants. Pas moins de 10 167 accouchements ont été enregistrés en 2012. Cela représente 50,27% des accouchements de notre wilaya », a-t-il précisé. En fait, c’est là un constat qu’il devait transmettre au DSP, en place, doit-on le rappeler, depuis près de douze ans, pour apporter les solutions qui s’imposaient avant d’en arriver à la situation dramatique que connaît l’établissement. « L’ensemble des établissements de santé de la wilaya, à commencer par la plus simple salle de soins, doit s’impliquer dans la prise en charge de la femme enceinte ». Voilà encore une doléance que Kitous pouvait transmettre au DSP, qui a la charge de gérer et d’orienter l’activité du secteur. Franchement, de quelle autorité peut se prévaloir un élu pour interpeller un quelconque responsable d’un établissement sanitaire donné ? Aucune, bien sûr, sauf que la tenue d’une session de ce genre prouve si besoin est qu’il y a vraiment malaise dans le secteur. Pour le dépasser, Kitous évoque « la rationalisation de l’utilisation des capacités d’accueil de l’établissement, le développement et le renforcement de l’unité de néonatologie de l’EHS Sbihi, par l’acquisition d’autres couveuses pour satisfaire la demande, en nette évolution, et son érection en service, en créant d’autres espaces dans la structure de M’Douha, ainsi que la consolidation du plan d’acquisition des équipements médicaux ». C’est beau de concrétiser tout cela, et le plutôt serait le mieux, à défaut de l’avoir fait en temps voulu. Lors de cette session, il a également été question d’intensifier les démarches pour bénéficier d’affectations de nouveaux praticiens assistants en gynécologie obstétrique, surtout qu’une session pour le choix de postes aura bientôt lieu, indique-t-on. 

12 ans et plusieurs morts, pour se rendre compte que Sbihi est saturée

La question de création d’un second pool de garde à Tizi-Ouzou a également été soulevée par les intervenants lors de cette réunion. 

A ce propos, le DSP indiquera que la création d’une autre structure pour désengorger l’EHS Sbihi a été l’un des points sur lesquelles il avait discuté lors d’une réunion au ministère, qui s’est tenue le 14 du mois en cours. Une information réconfortante peut-être pour les adolescentes d’aujourd’hui, certes, mais qui n’est pas pour soulager les plus en alerte. En effet, la saturation de Sbihi ne date pas de l’an dernier, encore moins d’aujourd’hui, alors pourquoi a-t-on attendu tout ce temps pour solliciter un tel projet ? Ça renseigne, en tous les cas, sur la projection dans le temps des responsables locaux du secteur. Quoi qu’il en soit, le DSP a affirmé lors de sa prise de parole, que le choix du terrain était déjà fait et qu’il ne restait plus que l’étude. Pour revenir aux drames qui se sont produits durant les deux derniers mois, où six parturientes sont décédées, l’un des gynécologues dudit établissement s’interrogera : « Sommes-nous responsables d’une parturiente transférée dans une autre structure de santé ? ». Là c’est le CHU qui est directement visé. « J’étais effondré suite au décès des parturientes, surtout la dernière, car c’était une personne que je connaissais », ajoutera-t-il, comme pour confirmer qu’il parlait effectivement du CHU Nedir Mohamed où la dernière parturiente a rendu l’âme après plusieurs jours en réanimation. Un autre gynécologue ajoutera : « Nous sommes trois gynécologues au niveau de Sbihi, et avec le flux que nous enregistrons quotidiennement, comment voulez-vous que nous continuions à travailler dans de telles conditions ? Nous n’avons pas de service de réanimation, juste une salle de réveil ». Et une doléance de plus au DSP ! Dr Msela, président de la commission de l’APW, voulant visiblement recentrer le sujet où il n’était nullement question de chantiers ou de structures, et encore moins de « plan d’action », précisera qu’il « n’est pas, là question du lieu où sont décédées ces parturientes, mais plutôt des raisons de ces décès, du moment que les deux parturientes décédées au niveau du CHU ont été opérées à la clinique maternelle Sbihi. Nous ne sommes pas une commission d’enquête, le but de cette réunion est de trouver des solutions dans les plus brefs délais, pour assurer un meilleur service à la clinique Sbihi ». Il ajoutera : « Idem pour la consultation, qui a été supprimée dans cette clinique. C’est grave qu’après un acte opératoire, la femme se retrouve dans la nature, seule, alors que le minimum est qu’elle revoit, au moins une fois au bout d’un mois, le médecin qui l’a opérée ». Lors du débat, les intervenants ont soulevé plusieurs questions, relatives à l’état des lieux de l’EHS Sbihi, notamment : Pourquoi les médecins spécialistes fuient-ils le secteur public ? « Il faut dire que nos médecins aiment l’argent, et c’est ce qui les attire chez le privé. Je ne peux pas réquisitionner un médecin du secteur privé et l’obliger à faire des gardes à Sbihi ! Cela ne relève pas de mes prérogatives. Mais j’ai discuté avec quelques-uns et ils sont prêts à apporter leur soutien », dira le DSP. Ce dernier ne soufflera, par ailleurs, aucun mot sur ces nombreux spécialistes, à cheval entre le secteur public et le privé devenu un secret de polichinelle à Tizi-Ouzou. 

“Une structure abandonnée” pour l’école paramédicale !

La proposition quant à une collaboration entre le CHU de Tizi-Ouzou et Sbihi était aussi à l’ordre du jour. À cet effet, une réunion a été retenue pour les jours à venir. Elle devrait regrouper la DSP, le CHU et les responsables de l’EHS Sbihi, pour discuter et tenter de trouver une solution qui leur permettra de travailler ensemble. Toujours selon les présents à la réunion, « l’implication du CHU dans l’activité de la gynécologie obstétrique est une chose à prévoir, car c’est la solution la plus rapide pour le moment, en attendant la construction d’une seconde structure maternelle». « Le service de gynécologie existe au niveau du CHU, mais ce sont d’autres activités qui s’y font. Alors, c’est le moment de penser à le réactiver », précise le DSP. Une « solution » qui ne semble convaincre personne toutefois, surtout chez les intervenants du secteur qui trouvent que le CHU reste à désengorger autant, si ce n’est plus, que la clinique Sbihi. Dr Msela, quant à lui, ajoutera que lors de la prochaine réunion, il faudra trouver une solution définitive à ce problème pesant : « Nous allons réfléchir, et lors de la prochaine réunion, nous devrons trouver une solution à ce problème. Prenez, chacun, du temps pour réfléchir et, prochainement, vous pourrez faire vos propositions et nous en discuterons plus profondément », a-t-il dit en s’adressant aux présents. Pour conclure, le DSP, qui fera toujours référence, directement ou indirectement, à « certains journaux » qui avaient rapporté l’information, affirmera que malgré le fait que l’école paramédicale soit érigée en un Institut spécialisé dans la formation des sages-femmes, la formation paramédicale continuera. « On m’a demandé de trouver une structure abandonnée pour préserver la formation paramédicale, car en cette matière, Tizi-Ouzou demeure la meilleure », a-t-il affirmé. Franchement, c’est à n’y rien comprendre ! Mais alors, pourquoi n’a-t-on pas fait les choses plus simplement, en domiciliant l’institut des sages femmes ailleurs qu’à l’école paramédicale ? Et puis ce terme, « une structure abandonnée »…

Samira Bouabdellah

Partager