Le FMI et les leçons algériennes

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L’Algérie vient de vivre une semaine d’extrême tension sociale sur le terrain du Sud et d’évaluations faites par la directrice du Fonds monétaire international, Mme Christine Lagarde, en visite dans notre pays. Faudrait-il prendre acte de la situation, peu soutenable, des chômeurs du Sud, qui ont rappelé in situ, à Madjid Sidi Saïd, sa qualité de secrétaire général des travailleurs et non de « secrétaire des chômeurs »? 

Amar Naït Messaoud

Faudrait-il festoyer et jubiler devant les déclarations élogieuses de la directrice du FMI, sachant qu’elle n’a abordé et commenté que les chiffres et les volets qui ne  »fâchent » pas? Sinon, est-il normal de faire table rase du rapport de Farouk Ksentini, présenté au Président de la République, et où il prévient d’une explosion sociale? Serait-il logique de maintenir sous le coude les conclusions du Conseil économique et social sur la mal-gouvernance qui grève le développement local? Ne faudrait-il pas tenir compte des déclarations du général-major Abdelghani Hamel, patron de la Police nationale, relatives aux risques sécuritaires charriés par le commerce informel? Est-on en droit de ne pas s’alarmer du classement de l’Algérie par le rapport de Doing business de la Banque mondial qui place notre pays à la 148e place (sur un total de 183 pays) sur l’échelle du climat des affaires? Une myriade de questions qui se télescopent et qui n’épuisent malheureusement pas les  »gisements » de tensions et de maussaderies qui prennent en otage les Algériens. Ne se rend-on pas compte que, s’agissant des institutions internationales, particulièrement celles à vocation financière, chacun voit midi à sa porte? Autrement dit, les intérêts priment sur tout le reste. Sur les organes publics d’information, il a été retenu ce qui tend à flatter l’égo des Algériens, à savoir, entre autres, une économie « robuste », même si elle est toujours dépendante des hydrocarbures. Le potentiel de croissance existe; il suffit de vouloir l’explorer et l’exploiter, ajoute la directrice du Fonds. Sur certains dossiers, elle s’est montrée circonspecte, du fait de l’impopularité de leur portée. Par exemple, le soutien des prix à la consommation et l’augmentation des salaires de la Fonction publique. Elle insinue, pourtant, que ce sont là des facteurs d’inflation; et le chiffre officiel de l’ONS pour 2012 appelle à la grande prudence: 8,9 % d’inflation. En abordant le chapitre des transferts sociaux, elle n’a pas hésité à mettre en relief les distorsions générées par le soutien des prix. Elle relève qu’il ne profite pas aux populations vulnérables, du fait qu’il est généralisé. Le ciblage que préconisait l’ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, on vient de « découvrir » ses vertus. La directrice du FMI a abordé un sujet sensible que la presse n’a pas jugé utile de  »monter en épingle ». Il s’agit du secteur des hydrocarbures, lequel génère 98 % des recettes d’exportation mais qui, dans la réalité ne crée que 2 % d’emplois dans notre pays! La cause, il faudra la chercher dans ce qu’on appelle une économie minière ou quasi exclusivement extractive, qui a mis à la marge le secteur de la transformation pétrochimique, qui a pourtant pris un bel élan au milieu des années soixante-dix du siècle dernier. Des ustensiles en plastique, une partie des carburants automobile, du bitume et d’autres produits finis ou semi-produits pétroliers ou gaziers sont importés par la grâce de l’exportation des produits bruts.

Réhabilitation de l’expertise nationale: quelle volonté politique?

Quelques grands points de la feuille de route que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, vient de tracer pour le Sud algérien, bouillonnant de mille menaces suite à une crise sociale aigue, rappellent aujourd’hui ce qui aurait dû être fait il y a vingt ou trente ans de cela: formation professionnelle adaptées aux métiers de l’énergie, maîtrise des procédures de recrutement…etc, outre le fait que l’industrie de transformation du pétrole et les nouveaux métiers des énergies renouvelables sont censées avoir leurs quartiers dans les régions du Sud. Comment expliquer que c’est le Sud algérien qui souffre le plus de la pénurie de carburants? Un Sud totalement dépendant du Nord en matière d’approvisionnement, y compris pour ce qui est des produits énergétiques!

Était-il nécessaire d’attendre les remarques et les  »orientations » de Mme Christine Lagarde pour prendre conscience qu’une autre typologie de croissance, basée sur l’économie d’entreprise, est la seule issue pour assurer la stabilité sociale et l’avenir économique du pays?  

Pourtant, des experts algériens, faisant partie d’instances officielles ou s’exprimant à titre indépendant, ont largement encadré la réflexion sur l’aiguillage économique et le climat des affaires. Le Forum des chefs d’entreprises (FCE) a même assis et consacré un cadre idéal de réflexion où il associe des patrons, des responsables de l’économie national, d’anciens dirigeants de banques, pour faire des propositions concrètes au gouvernement. L’on se souvient de ces journées d’études convoquées au courant de 2012, une fois pour décrypter la dépendance par rapport aux hydrocarbures, une seconde fois pour diagnostiquer les travers et les faiblesses du secteur bancaire. Le CNES a fait des propositions pour améliorer le développement local et la relation élu/administration. Les opérations initiées par le gouvernement Sellal pour éradiquer le commerce informel tardent à donner des résultats, particulièrement en raison de l’insuffisance des marchés couverts promis aux jeunes  »trabendistes ». L’on se souvient aussi que ce fut l’une des « recommandations » des instances financières internationales au début des années 2 000- à côté de la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent-, dans le sens de sauver et de booster le peu d’économie structurée en voie de formation. Donc, au lieu de monter en épingle des  »leçons » ou les rappels à l’ordre du FMI, dissimulés sous les hosannas d’une louange trop médiatisée, il serait plus que souhaitable de mettre en branle les leviers des structures algériennes appropriées et disposant de la matière grise nécessaire pour qu’elle puissent alerter les gouvernants et la société sur les dérives d’ordre social ou économique que la magie de la rente pétrolière installe insidieusement chez les gestionnaires et les responsables des institutions publiques et chez leurs clientèles. Ces structures- publiques, semi-publiques, privées- existent bel et bien. D’autres énergies académiques se regroupent aujourd’hui dans certains journaux pour animer des forums spécialisés.  Il suffit qu’il y ait la volonté de réhabiliter l’expertise nationale et de lui faire confiance, comme il est temps, également, de réhabiliter les instances élues (les deux chambres du Parlement) en contact direct avec le système d’élaboration des lois.        

 A. N. M.

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