Tobna, dans la commune de Barika, un des rares sites antiques algériens de la région des Aurès, qui a pu être le réceptacle de la civilisation numide, de l’occupation romaine et de la culture musulmane, vient de subir un affront indescriptible, celui des engins venus préparer la plate-forme de projets de promotion immobilière (logements promotionnels et participatifs). Des citoyens de la région lancent un SOS pour mettre fin à ce qui s’apparente à un véritable crime contre la culture et l’histoire de tout un pays. La presse a rapporté au début du mois de mars cet événement, et les autorités locales se sont retrouvées dans une position pour le moins inconfortables, elles qui sont supposées protéger un site historique connu depuis toujours, cité et identifié par les historiens et, mieux encore,…classé selon la loi 04-98 du 15 juin 1998 relative à la protection du patrimoine culturel.
Après que les engins en action eurent mis au jour des vestiges
historiques et même un aqueduc, le chantier serait sommé de s’arrêter suite à des ordres venus de l’Office national de gestion, d’exploitation et de protection des biens culturels protégés et du Centre national de recherches archéologiques et historiques. C’est en tout cas ce qu’a déclaré au début de la semaine en cours, le directeur de la Culture de la wilaya de Batna, Nordine Bouguendoura. Ce dernier fait porter toute la responsabilité d’une telle agression à la municipalité de Barika et aux services de sécurité du fait qu’ils font partie de la Commission nationale de la protection des vestiges et des biens culturels. Rappelons que dans le cas extrême, où l’entreprise de réalisation est enjointe d’entamer son chantier par le maître de l’ouvrage suite à la délivrance d’un ODS de démarrage des travaux, cette même entreprise est tenue d’arrêter son chantier et de déclarer ce que ses ouvriers ou son enginiste ont découvert sur le site. Selon le directeur de la Culture, le chantier demeurera à l’arrêt jusqu’à la fin de l’enquête qui sera menée par les deux organismes de la protection des biens culturels. Selon des vieilles inscriptions retrouvées sur le site, cette ancienne ville berbéro-romaine s’appelait Tobuna ou Tubonis. Après la conquête musulmane, Tobna devint capitale de la région des Zibans, avec un grand et élégant château bien décrit par les historiens de l’époque, dont Mohamed Ben Youcef. Sis à 4 km au sud de la ville Barika, le site historique de Tobna est situé au piémont de djebel Metlili, sur les Hauts Plateaux auréssiens, à 460 mètres d’altitude. Il s’étend sur un espace situé entre deux routes: le CW 37, menant à M’Douka et Ben S’rour, et la RN 78, menant à El Outaya et Biskra. En tant que site historique devant être mis en valeur pour en faire une destination touristique, Tobna présente, symétriquement par rapport à la chaîne de Metlili, une « sœur jumelle », la ville d’El Kantara, dont le défilé attire des centaines de touristes algériens et étrangers. Sur son côté ouest, Tobna est flanquée des dernières mares de Chott El Hodna qui reçoivent les eaux d’un cours d’eau passant l’ancien site, l’oued Bitam alimenté par la fonte des neiges du mont Belezma. Malheureusement, le cas d’agression dont a fait l’objet le site de Tobna est loin d’être unique ou isolé. Sur des lieux de grande renommée, classés officiellement par l’État algérien, ou sur des sites moins connus du grand public, la mafia du foncier a mis la main sur des parcelles de terrain pour y construire des villas et des immeubles. D’autres sites sont laissés à l’abandon, comme l’était Tobna avant qu’elle « défraye la chronique » avec la promotion immobilière autorisée par la municipalité. L’on se souvient que, en 2006, Mme la ministre de la Culture avait parlé d’un plan d’urgence « pour le renforcement de la protection du patrimoine culturel et de la lutte contre toutes formes d’atteinte aux bien culturels ou de tentatives de trafic de ces biens ». C’était lors d’une séance du Conseil de la nation. Mme la ministre y avait même confirmé les informations sur les vols, la destruction et le trafic des biens culturels matériels (pièces de musée, tableaux de peinture, peintures rupestres,…). Ce sont des actes qui aboutissent parfois jusqu’à l’exportation illégale vers les pays voisins ou vers l’Europe. Il était question d’associer, à la sauvegarde des biens culturels, les partenaires de l’administration centrale (services de sécurités, communes, wilayas,…), pour apporter leur part de contribution à la protection de pans entiers de la mémoire du peuple algérien et de ses valeurs culturelles authentiques. Dans un domaine aussi sensible relevant de la mémoire, de l’identité et de l’histoire, la sensibilisation permanente, et à tous les niveaux des institutions du pays, demeure incontestablement la meilleure arme pour protéger et promouvoir ce précieux legs de l’histoire millénaire algérienne. Mais, outre la sensibilisation, les mesures coercitives doivent être renforcées, car les actes délictueux se sont dramatiquement aggravés au cours de ces dernières années. Djanet, Tamanrasset, Aflou, Timgad, Djemila et d’autres lieux de la mémoire algérienne (tels que les musées) crient leur détresse face à un pillage sans précédent de l’histoire nationale. Un blog dédié au site de Tobna en amplifie l’écho à travers la Toile. Aux autorités et à la société civile de prendre leurs responsabilités.
Amar Naït Messaoud.