Par Abdennour Abdesselam
La langue berbère se présente aujourd’hui sous la forme de parlers éparpillés sur le vaste territoire d’Afrique du Nord. Cette réalité géographique est historique. La volonté d’aller à une langue unique est certes un objectif légitime mais sa réalisation reste très laborieuse car, entre temps, des « distances » d’ordre linguistique se sont installées, même si la structure de la langue est restée relativement la même pour tous les parlers. Même avec l’usage des instruments modernes de communication comme l’Internet, le projet ne saurait être véritablement réalisable sans la volonté et le concours des états concernés tellement l’initiative est budgétivore. Notons également que nous sommes à égale distance des avantages mais aussi des inconvénients que peuvent produire sur les langues, justement, ces mêmes nouveautés technologiques qui ont déjà induit des bouleversements dans les paysages linguistiques planétaires. En effet, la rigueur de l’impitoyable et inéluctable phénomène de la mondialisation, accentué par les moyens modernes, a fragilisé par substitution bien des langues officielles de plusieurs pays. Pour sujet d’exemple, face à l’usage de plus en plus massif de la langue anglaise, des langues européennes commencent à agoniser. L’émergence inconsciente du «franglais » en France inquiète les académiciens sur les risques de disparition à moyen ou long terme de la langue française elle-même. Nous ne sommes donc pas à l’abri du même risque, d’autant plus que les préjugés politiques de nos pays respectifs ne désarment pas pour réduire la force de résistance habituelle de notre langue. Les seules initiatives individuelles ou de groupes du projet d’une langue pan berbère, aussi louables soient-elles les unes comme les autres, restent inévitablement insuffisantes. Cela ne signifie point qu’il faille ne rien faire. Mais le réalisme commande de procéder suivant les urgences imposées. Notons que la langue berbère qui a progressé à travers l’histoire de sa propre logique et qui a inventé ses propres articulations ne peut plus se défendre d’elle-même. Ce qui était valable historiquement hier ne l’est plus aujourd’hui hélas, à moins de se voiler la face. C’est alors que l’urgence qui s’impose à nous, Berbères d’Afrique du Nord, est d’abord de consolider, de conforter et de renforcer ce qui existe dans les sphères géographiques restantes, encore berbérophones mais pour combien de temps encore. Dans le seul pays kabyle, la langue s’effrite lentement et en silence, que ce soit du point de vue du langage ou de la construction syntaxique. Nous parlons avec de moins en moins d’aisance en kabyle et la volubilité disparaît peu à peu. La sphère géographique de la langue en Kabylie se rétrécit de plus en plus. Malheureusement cette constatation vérifiée et vérifiable s’applique à tous les autres parlers berbères. Les exemples dans le monde sont là pour nous interpeller et nous rappeler que les langues sont comme les hommes: elles naissent, elles grandissent, elles se développent et elles peuvent mourir aussi. Sur ce point précis, le rapport publié par l’UNESCO en 2011 et qui annonce le risque de disparition de la langue berbère est à méditer. Entre un projet qui dépasse présentement les possibilités militantes au plan matériel et financier et la stratégie de consolidation et de valorisation de ce qui reste encore vivant : le choix parait tout évident.
A. A.
