Le phénomène en pleine expansion

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La contrefaçon touche pratiquement tous les segments des produits qu’on retrouve sur le marché aussi bien à Bouira qu’au niveau national.

Cela va du simple stylo à bille au prêt à porter, en passant par les ustensiles de cuisine, les articles ménagers et électroménagers, les pièces détachées de véhicules… etc. Bref, la quasi-totalité des produits que consomment les citoyens provient de « l’industrie de la copie ». D’ailleurs, selon une analyse faite par les services de la douane, 60% des produits importés sont contrefaits. Plus inquiétant encore, la même analyse a démontré une explosion des produits contrefaits qui pénètrent au territoire algérien, avec une hausse de 163% par rapport aux années précédentes. Mais le créneau le plus porteur, est sans conteste celui des téléphones mobiles. En effet, les boutiques spécialisées en téléphonie foisonnent d’appareils mobiles de toutes marques confondues, qui sont, pour leur plus grand nombre, des produits contrefaits. Ce constat a été établi par l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT), en indiquant que les téléphones portables haut de gamme, en Algérie, sont les plus touchés par la contrefaçon et proviennent, notamment, des pays asiatiques. La wilaya de Bouira, à l’instar des autres wilayas du pays, est frappée de plein fouet, pour ne pas dire inondée, par les téléphones dits «Taiwan ». Pour preuve, la quasi majorité des boutiques spécialisées dans la téléphonie mobile et ses accessoires, au niveau du chef-lieu de la wilaya, font dans la contrefaçon, au vu et au su de tous. Certains, ont en fait carrément leur crédo. Dans le but d’en savoir plus sur le sujet et de connaitre l’ampleur de la situation, nous avons pris langue avec certains vendeurs de téléphones mobiles contrefaits. Ces derniers, n’ont pas hésité à nous livrer quelques ficelles de leur métier. 

Un «iPhone5» à 16 000 DA !

Fouad, un jeune diplômé en sciences commerciales, et n’ayant pas trouvé de travail dans son créneau, s’est converti dans la vente de téléphones portables et autres accessoires de téléphonie mobile. Son magasin, situé au niveau de la cité des 130 logements de la ville de Bouira, ne désemplit pas de clients désireux d’acquérir le dernier téléphone à la mode. Et pour cause, ce jeune commerçant s’est spécialisés dans les téléphones haut de gamme et autres Smartphone. Mais ces derniers sont, pour la plupart, hors de prix et quasiment inaccessibles pour les petites bourses. A titre d’exemple, la gamme « Galaxy » du constructeur Sud Coréen Samsung, varie entre 38 000 à 66 000 DA, pour le dernier né de la gamme, à savoir le Galaxy S3. Pourtant, ce marchand de téléphone le propose à… 28 000 DA ! À première vue, les citoyens semblent croire qu’ils ont fait l’affaire du siècle, mais à première vue seulement ! Ainsi, voulant en savoir plus sur les dessous de ce prix plus qu’attrayant, nous avons demandé à ce commerçant de nous livrer son « secret », chose qu’il fait avec un large sourire : « Ecoutez, les acheteurs ne sont pas des idiots, ils savent bien que les Smartphones coûtent plus cher. C’est bien évidement du Made in China ! », a-t-il confié. Avant d’ajouter : « Je viens de vendre un Nokia N8, à 20 000 DA, et la cliente savait très bien qu’elle n’allait pas posséder un produit Finlandais pour cette somme là mais son clone venu de chine », a-t-il expliqué. Poursuivant sur sa lancée, notre interlocuteur sortira de son arrière-boutique un produit original, un Galaxy S3. Tenant ce dernier d’une main, il se dirigera par la suite à sa vitrine et en fera sortir le même (ou presque) téléphone. « Au premier coup d’œil, on dirait que c’est le même. Mais celui-là (celui de la vitrine, ndlr), n’est qu’une copie du premier. Les chinois sont forts », s’est-il exclamé. Examinant les produits de prés, notamment dans la partie logicielle, on se rend vite compte de la différence entre les deux modèles. Première différence, le démarrage de l’appareil. Tandis que le modèle original s’allume au quart de tour, son faux jumeau démarre, quant à lui, très lentement, à peu prés 18 secondes pour le premier et presque deux minutes pour le clone chinois. Autre différence enregistrée, celle se référant à la qualité de l’APN (Appareil photo numérique). Pour le S3 original, la résolution est tout simplement époustouflante, avec ses 8 méga-pixels, alors que pour la copie, affichant le même nombre de pixel (en apparence), la résolution est tout bonnement calamiteuse. Interrogé sur la durée de vie de ces appareils contrefaits, notre interlocuteur a mis en évidence que ces appareils sont « jetables ». « Soyons francs, il ne faut pas espérer des miracles avec des téléphones fabriqués en Chine. C’est certes joli à regarder, en design c’est la copie conforme de l’original, mais du point de vue qualité rien ne vaut un produit certifié », dira-t-il. D’autres magasins spécialisés en téléphonie mobile proposent également des produits contrefaits, mais contrairement à Fouad, ils essaient d’arnaquer les consommateurs en proposant des produits contrefaits, clamant à ceux qui veulent les croire que c’est des modèles originaux. La scène qui suit, reflète bien l’état d’esprit de certains commerçants peu scrupuleux : Dans un magasin sis à la cité Harkat à Bouira, le dernier Smartphone d’Apple, (iPhone5), est proposé pour la modique somme de 16 000 DA… Oui, vous lisez-bien. Désireux d’en savoir plus sur ce prix plus qu’alléchant et ce qu’il cacherait, nous avons demandé à l’examiner de plus près.  Ce faisant, on s’est vite rendu compte d’une incohérence plus que flagrante. Le logiciel utilisé par Apple est un IOS,  alors que celui intégré à cet Iphone est un Androïd (un logiciel de Google). D’ailleurs, l’interface de ce pseudo Iphone n’avait absolument rien à voir avec celui de la marque à la pomme. Mais le pire dans cette histoire, est que ce marchand jurera par tous les saints que son Iphone est « horr » (original). « Je ne fais pas dans la contrefaçon », s’est-il défendu, avant de se raviser devant une telle preuve : « Il se pourrait bien qu’il ne s’agisse pas d’un véritable Iphone, mais les caractéristiques sont les mêmes ». Par tout ce qui a été relaté on comprend bien que le commerce de téléphones contrefaits est très juteux et qu’il est en plein expansion à travers la wilaya, à l’instar des autres wilayas du pays. Toutefois, une interrogation fondamentale subsiste : d’où s’approvisionnent ces revendeurs ?

 

Belfort, la Mecque de la contrefaçon

Tous les marchands interrogés à ce sujet, nous ont orientés vers un seul endroit, Alger et plus précisément le quartier de Belfort à El Harrach. Au niveau de ce quartier, les commerçants de gros et de détail occupent des magasins situés de part et d’autre d’une grande ruelle. Des vendeurs à la sauvette, occupant de petites tables de fortune, y ont également pris place, proposant des téléphones neufs et d’occasion. «Le marché» de Belfort est l’un des plus importants au niveau national, pour ne pas dire le plus important. Les clients y affluent de tout le pays, à la recherche «des bonnes affaires». Ici, tout le monde peut trouver un téléphone portable en fonction de ses moyens. Samsung, LG, Nokia, Apple… etc. On y trouve toutes les marques. Si certains commerçants proposent des téléphones achetés directement chez les fournisseurs de ces grandes marques, d’autres, en revanche, vendent des appareils téléphoniques provenant directement de Chine, donc contrefaits. «Je m’approvisionne directement ici, chez les commerçants de gros ou du marché d’El-Eulma, et je les revends ici au marché. J’achète souvent des portables d’origine et imités (c’est-à-dire contrefaits) parce qu’il y a un téléphone original, et il y a des copies », nous explique un jeune vendeur, étalant sur une petite table une vingtaine d’appareils. Un vendeur originaire de la wilaya de Béjaïa, rencontré sur les lieux, dira : « Au lieu d’acheter un téléphone haut de gamme original à 80 000 DA, que j’aurais du mal à écouler, je préfère acheter le même, chinois, à 15 000 DA que je vais revendre à 25 000 DA ! », a-t-il fait remarquer.  Du coté des grossistes, on se fait très discret, ceux qu’on a pu interroger se sont avérés peu loquaces sur le sujet, se contentant de dire : « C’est notre business et on tient à le garder ». Toutefois, dans cette ambiance d’omerta qui semble régner dans ce milieu des téléphones à Belfort, un grossiste a accepté de nous dévoiler quelques petits secrets sur ce monde inconnu pour le grand public. Naguib, c’est son prénom, est un égyptien d’origine, mais qui vit en Algérie depuis les années 90, nous a-t-il informé. Notre interlocuteur est visiblement très célèbre à Belfort, puisque son grand magasin, situé à proximité de la grande moquée de la ville, est archi comble de détaillants venants des quatre coins du pays afin de s’approvisionner. Naguib soulignera à cet effet : « Votre pays (l’Algérie, ndlr) est un marché très porteur. Les gens aiment tout ce qui est nouvelle technologie, ils en raffolent même ! ». Concernant, ses relais, ce grossiste nous dira : «  J’ai des amis en Tunisie, au Maroc et même en Lybie, ils m’approvisionnent en marchandises chinoise. Car, il faut bien le reconnaître, les téléphones originaux se vendent mal ici ». Interrogé sur le montant de son chiffre d’affaire annuel, ce businessman a déclaré en souriant : « Je ne peux vous le dévoiler, mais il tourne autour des 5 milliards de centimes ». Au cours de la conversation, un détaillant originaire de Ghardaïa s’est présenté au comptoir de Naguib en demandant si le dernier né de la gamme Galaxy, le S4, était disponible. Etonné par cette requête, car ce Smartphone venait juste d’être dévoilé par Samsung, le grossiste a vite fait de clarifier les choses : «  Il s’agit bien de Galaxy S4, mais je n’ai que le modèle chinois ».  D’autres grossistes, sous couvert d’anonymat, nous ont révélé qu’ils ont des « connaissances » au niveau du port d’Alger, ce qui leur permet de faire entrer des produits contrefaits et les écouler à travers tout le pays.

Ramdane B.

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