Le chercheur de lumière fauché par l'obscurantisme

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Il y a 20 ans, le 26 mai 1993, l’écrivain et journaliste, Tahar Djaout,  tombait sous les balles assassines des membres de la «famille qui recule», c’est ainsi que, frontalement, Tahar a nommé le mal algérien des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, à savoir l’intégrisme rampant.

 Par Amar Naït Messaoud

Lui qui, à juste titre, se réclame de la famille qui avance, incarnée par l’Algérie de la jeunesse, de labeur et de l’intelligence, succombera, une semaine, après l’attentat, au profond coma dans lequel il était plongé. Celui par le nom duquel on baptisera la Maison de la presse du 1er mai à Alger (rue Bachir Attar), partit à la fleur de l’âge, 39 ans, au moment où, contre les lumières du savoir et contre les libertés collectives et individuelles, se liguèrent mille manœuvres issues de l’accumulation d’une tyrannie politique, sociale et culturelle, qui aura duré plus de trois décennies.  L’intégrisme, sorti du ventre méphitique du système rentier, islamo-baâthiste et jdanoviste, a fauché les meilleurs esprits et les plus brillantes intelligences qui tenaient à perpétuer l’idéal de l’Algérie historique, celui par lequel notre pays a arraché son indépendance après presque un siècle et demi de colonisation.  Djaout est parti comme était parti Mouloud Feraoun, trente et un ans auparavant, assassiné par d’autres intégristes, ceux des inconditionnels de l’Algérie françaises incarnés par l’OAS. En la personne de Djaout, c’est une partie de l’Algérie démocrate et éclairée qui est visée et amoindrie. Le combat de l’écrivain et journaliste était celui dans lequel se reconnaissaient tous les militants des libertés démocratiques, des droits de l’homme, du progrès et de la science.  Et c’étaient ces idéaux et ces choix justement qui étaient combattus par le feu et le sabre par une secte d’illuminés. Cette secte tient toujours, idéologiquement et politiquement, à rebondir et à faire entendre sa voix après une aventure terroriste qui aura duré plus de quinze ans. Elle profite de la moindre baisse de vigilance de la République pour faire valoir ses prétentions, bien que sur le terrain militaire elle eût été vaincue. Elle nourrit le secret espoir, vingt ans après l’assassinat de Tahar Djaout, de nous entraîner dans un pseudo printemps arabe qui a mis à genoux les peuples et les forces modernistes de toute l’aire géopolitique arabe.  L’on sait que, avant qu’ils fussent des cibles privilégiées des islamistes au cours des années 1990, les esprits et les plumes de la valeur de Tahar Djaout étaient soit marginalisés, soit désignés déjà à la vindicte publique par les tenants de la pensée unique. Et c’est presque « naturellement » que la secte des mutants acheva la besogne par le passage à l’acte. L’on se souvient que des noms prestigieux de la culture, des arts, de la science et de la haute administration étaient éliminés presque chaque semaine en ces journées sanglantes et sombres du début des années quatre-vingt-dix. Mahfoud Boucebsi, treize jours, après la mort de Djaout, Dlilali Liabès,  Mohamed Boukhobza, Smaïl Yefsah, Saïd Mekbel, et la liste est malheureusement trop longue. Djaout incarne parfaitement le personnage de ‘’ce voleur qui…‘’, billet de Saïd Mekbel, chronique prémonitoire publiée le jour même de son auteur (un certain 3 décembre 1995)! Au moment où tombaient ces têtes, crème de l’Algérie et espoirs d’horizons radieux, un journal de l’époque n’eut, en désespoir de cause, que ce titre donné en grande manchette, en plein milieu de la vague assassine « A qui le tour ? »

En fondant six mois auparavant l’hebdomadaire « Ruptures » avec d’autres amis (Arezki Metref, Abdeljrim Djaâd), Djaout avait clairement montré son camp, celui de la démocratie, de la République et de la modernité. Quant au choix lui-même, il procède d’un parcours naturel d’un poète et romancier doublé d’un journaliste talentueux. Pour lui, le choix de la liberté et de l’expression sans tutelle commence avec « Le Solstice barbelé » en 1975 et se poursuit jusqu’à « Le Dernier été de la raison » qu’il avait laissé en manuscrit avant sa disparition prématurée. Entre-temps, il y a eu L’Exproprié Les Rets de l’oiseleur, Les Chercheurs d’os, L’invention du désert et Les Vigiles. Ce dernier roman annonce déjà la chute aux enfers d’une société prise en tenailles par les forces rétrogrades de la bureaucratie et du conservatisme; une sorte de pendant naturel de la famille qui recule.  Djaout demeurera le symbole de la jeunesse en lutte pour faire régner la lumière et la liberté dans une situation d’adverse fortune faite de reniements, de papelardise, de conservatisme débridé et d’intérêts sordides.                                              

 A.N.M.

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