Errements et avatars d’une utopie

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Par Amar Naït Messaoud

Ayant été incapables de chevaucher la mouvance du Printemps arabe au début de 2011, grâce à la vigilance des Algériens nourrie par une expérience historique inégalée, les islamistes algériens tentent, cette fois-ci, d’exploiter la ‘’brèche», ou ce qui est considéré comme tel, de ce qu’ils considèrent prématurément comme une ‘’vacance’’ du pouvoir.  Acculés dans leurs derniers retranchements par une histoire qui ne réserve aucune place à ce qui prend l’allure d’un onirisme messianique, les diverses tendances de l’islamisme algérien tentent, ces derniers jours, de rassembler leurs forces sous la houlette du parti Ennahdha de Fatih Rabîai, en travaillant à passer des passerelles avec les résidus de l’ex-Fis. Face à ce qu’ils considèrent, dès à présent, le candidat du ‘’système’’ aux présidentielles de 2014, les islamistes algériens se réveillent au devoir de se liguer et de s’entendre, eux qui, dans le paysage politique de 2013, ne représentent que la minorité aigrie et revancharde. Cette réalité est d’ailleurs attestée par le recours aux éléments du parti dissous, espérant y trouver une espèce de renfort et de légitimation. Mais quelle légitimation, lorsqu’on considère que ce parti est à l’origine de ce qui est appelé officiellement, et par euphémisme aussi, la tragédie nationale? Au fond, l’islamisme, capable de menacer le pays et ses institutions, les Algériens ne le connaissent que trop. Il a un nom, c’est l’ancien parti du FIS. Il a une histoire houleuse, voire belliqueuse, puisqu’il s’est attaqué à la population, aux services de sécurité et à l’élite intellectuelle du pays. Les Algériens ont su lui résister et le reléguer au rang de mauvais souvenir. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale, votée massivement par le peuple algérien en 2005, balise le chemin du renouveau politique algérien, singulièrement par rapport à ceux qui sont tenté d’utiliser la religion à des fins politiques. 

Instruits, contre leur géré bien entendu, par les dispositions contraignantes de la Charte et, surtout, par le rejet de la population de toute illusion théocratique au 21e siècle, les lambeaux des partis et organisations islamistes ont cru trouver le bon filon dans le mal nommé Printemps arabe, qui a vu des partis islamistes, longtemps tapis dans l’ombre, détourner la colère populaire à Tunis, à Tripoli et au Caire, pour se poser en alternative des dictatures déchues. Et pourtant, il ne faut pas trop se précipiter pour tirer une quelconque gloriole ou autre satisfaction béate d’une situation qui est en train de se muer en cauchemar, sans doute en une seconde révolution dans les pays cités. La mobilisation de la journée du 30 juin pour contester, partout en Égypte, le président Mohamed Morsi, est un signe patent que rien n’est joué dans ce pays et ailleurs. Car, quelles que soient les dérives et les erreurs des régimes en place décriés, l’alternative islamiste est historiquement non viable et est fondamentalement rejetée par la société. La société peut être illusionnée momentanément par un discours messianiste et ‘’redresseur’’ de torts, face à la dictature et à la corruption des régimes civiles. Mais, elle ne tarde pas à prendre conscience que c’est, là une grande supercherie, un machiavélisme sophistiqué drapé d’une spiritualité tristement superficielle.  Sur beaucoup de points, l’Algérie est en avance pour pouvoir porter un jugement sur l’islamisme politique, même si ce dernier a pour origine le Moyen-Orient avec Hassan El Bana, le mouvement des Frères Musulman et Sayed Kotb. Cette avance en matière de ‘’réalisme’’ politique, les Algériens la doivent à une histoire accélérée et houleuse, qui les a fait passer, en moins de quatre décennies, des affres de la guerre de Libération nationale à une guerre sans nom qui, au nom de l’Islam, a coûté au pays des dizaines de milliers de morts, des milliards de dollars de pertes matérielles et un traumatisme quasi indélébile, en passant, bien entendu, par l’explosion d’octobre 1988. 

Malgré les interrogations légitimes des populations sur les étapes qui restent à franchir pour se délester d’une économie claudicante, basée sur la rente pétrolière, et se libérer du patriarcat politique au profit d’une citoyenneté bien assumée, l’illusion islamiste ne constitue nullement une perspective viable, ni ne dispose d’une place dans la société qui soit à la mesure des délires de cette mouvance.              

A. N. M.

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