La drogue est dans les cités U

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La toxicomanie en Algérie a atteint des proportions alarmantes et touche toutes les franges de la société. 

Ce fléau ravageur a fait l’objet, avant-hier jeudi, au niveau de la maison de la Culture Ali Zamoum de Bouira, d’une journée d’information et de formation au profit des professionnels de la santé de la wilaya. Lors de cette rencontre, les participants et autres intervenants, ont abordé la toxicomanie sous ses diverses coutures, en prenant soin d’éviter toute stigmatisation des malades et, surtout, en traitant ces derniers avec respect. D’ailleurs, c’est sous le slogan « Le toxicomane mérite respect et soins », que cette journée d’études a été initiée et a porté sur divers aspects majeurs de cette calamité: la définition de la toxicomanie, ses causes,  ses effets et, aussi, la prise en charge psychiatrique des malades. La plupart des intervenants qui se sont succédé au pupitre ont souligné que les toxicomanes sont, avant tout, des victimes et, de ce fait, elles ne doivent en aucun cas être pointées du doigt.

Les voyants au rouge 

Le Dr Bouguermouh, maitre de conférences à l’EHS de Blida, service de toxicomanie, a dressé un bref état des lieux de ce fléau dans notre pays.  Selon les chiffres avancés par ce spécialiste, la toxicomanie prend des proportions quasi pandémiques, que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter. Ainsi, d’après les dernières estimations, on apprendra que 302 000 algériens se droguent et 0,38% de la population consomme des substances psychotropes. Pour ce qui est de la tranche d’âge des consommateurs, elle varie en moyenne, selon l’orateur, entre 12 et 35ans. Continuant sur sa lancé le Dr Bouguermouh notera que 2,40% des étudiants algériens se droguent à l’intérieur même des universités, et que 15,4 d’entre eux la consomme dans les cité U. « La propagation des drogues, comme vous pouvez le remarquer, se fait de manière alarmante », dira-t-il. Abordant la maladie du VIH (Sida) et ses liens avec la toxicomanie, l’orateur notera que plus de 5 millions de personnes dans le monde sont atteintes du virus du Sida du fait de leur consommation des substances illicites. Pour ce qui est de l’Algérie, ce ne sont pas moins de 5381 séropositifs qui sont recensés parmi les toxicomanes, mentionnera ce spécialiste, avant d’illustrer la progression de ce phénomène par le biais de chiffres qui sont, le moins que l’on puisse dire, assez éloquents. En effet, entre  2008 et 2012, l’EHS de Blida a enregistré une hausse significative du taux d’admission des patients souffrants d’addictions aux substances narcotiques telles que l’héroïne, la cocaïne, le cannabis… etc.  Ainsi, en 2008, ils étaient 4 968, et l’année dernière, ce chiffre a bondi de plus de 30%, passant à 6890 admis au niveau de ce service. « On relevé une forte progression des toxicomanes entre 2008 et 2012, avec une nette prédominance des poly toxicomanes »,  commentera M. Bouguermouh, avant de céder la parole au Dr Hammani, responsable du Centre intermédiaire de suivi des toxicomanes (Cist) de Fouka, relevant de la wilaya de Tipasa. Ce centre, expliquera-t-il, est un établissement public de santé opérationnel depuis le mois de février 2012, et fait partie des 53 CIST prévus à l’échelle nationale. Selon Dr. Hammani, la prise en charge s’articule autour des volets médical, social, juridique et psychothérapeutique. Trois semaines à un mois, telle est la durée de la cure de sevrage. La cure de consolidation intervient, après, par des prises en charge en matière de psychothérapie et d’ergothérapie. Le CIST de Fouka est doté d’un encadrement composé de médecins généralistes, psychologues, sociologues et juristes.  Apres cette brève intervention, viendra le tour du Dr Boudaren, psychiatre libéral, exerçant dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Ce spécialiste axera son intervention sur les drogues et leurs dépendances en neurologie.  « Toutes les drogues contribuent à augmenter la quantité de dopamine libérée, afin de provoquer une forte sensation de bien-être », expliquera-il, avant d’ajouter : « Cette augmentation de la dopamine se fait selon différents modes et selon la drogue utilisée. La cocaïne, par exemple, empêche la recapture de la dopamine par le neurone qui l’a libérée. La dopamine reste, alors, dans la synapse et continue de stimuler les neurones du cortex au-delà de la normale. Les substances opioïdes, telles que l’opium, la morphine ou l’héroïne, agissent de la même manière que les endorphines, elles viennent se fixer sur les récepteurs naturels des endorphines (…) D’autres substances viennent encore stimuler directement les neurones à dopamine, comme la nicotine par exemple, qui vient se fixer sur des récepteurs (récepteurs nicotiniques, NDLR) présents naturellement sur les neurones à dopamine. Chaque drogue a donc son propre mode d’action, mais au final, le résultat est identique, la quantité de dopamine libérée est augmenté au-delà de la normale, ce qui provoque des overdoses, parfois mortelles ».  Viendra, ensuite, le tour du Dr Djeridane, médecin coordinateur à l’EPSP de Bouira, d’exposer un thème sur la toxicomanie en milieu juvénile. Selon le praticien, 28% des jeunes sont des consommateurs occasionnels ou permanents de stupéfiants. Et de souligner que les adolescents sont devenus des proies privilégiées des drogues de toutes natures. Il définira, ensuite les facteurs de risques et de protection relatifs à l’usage de drogues chez les adolescents. A titre d’exemple, le conférencier citera trois domaines où les jeunes peuvent être amenés à s’initier aux diverses drogues existantes, l’Ecole, la famille et la communauté. Pour ce qui est de l’univers scolaire, M. Djeridane notera que l’échec scolaire et le peu d’intérêt accordés aux études, peuvent faire sombrer les enfants, au même titre qu’une famille déchirée ayant des comportements antisociaux et des attitudes parentales favorables à l’usage de drogues. S’agissant de la communauté (entourage, fréquentations…), l’intervenant dira que les communautés désorganisées, aux lois et normes favorables à l’usage de drogues, et surtout, à la perception de l’accès aux drogues, font partie des vecteurs qui sont à l’origine des premiers contacts avec ses substances prohibées. 

Quand l’investigation vient à manquer… 

Pour ce qui est du second volet de cette journée d’information, réservé au thème de la prise en charge psychiatrique des toxicomanes, deux conférenciers, à savoir le docteur Bouslimane Abd El Hafid, psychiatre à l’EHS de Oued Aïssi (Tizi-Ouzou) et M. Derguini, psychiatre à l’EHS de Blida, ont expliqué que La toxicomanie n’est pas une intoxication (phénomène passif) et le sevrage ou la désintoxication n’est donc pas un traitement. Partant de ce postulat, ces spécialistes ont mis en relief le concept de dépendance en le définissant comme « un état psychique, quelquefois également physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et une substance, caractérisé par des modifications du comportement et d’autres réactions… », diront-ils avant d’aborder le fond du problème, à savoir la prise en charge au niveau des centres d’accueil (CIST). « L’accueil est un espace à part entière, un lieu d’écoute et de parole, convivial, chaleureux, dans le respect de l’anonymat des personnes qui s’adressent à nous. Il s’agit de porter une attention particulière à chaque personne, de respecter le silence de l’un, de soulager l’inquiétude de l’autre, pour assurer la meilleure entrée en matière possible. L’accueil est un moment intermédiaire, qui permet au sujet de se préparer au temps de l’entretien (rencontre avec le thérapeute, l’éducateur ou le médecin), ont-ils souligné. Mais selon les intervenants, l’accueil ne suffit pas, il faut également un suivi psychologique et psychiatrique. Enfin, le Dr Ait Sidhoum mettra le doigt là où ça fait mal, en déclarant que « toutes les méthodes qu’emploient les psychiatres sont infructueuse, car ils se contentent uniquement du suivi et d’engager une séance de bavardage avec les patients, alors que le problème est ailleurs », a-t-il indiqué. Selon ce médecin, il y a un véritable déficit en matière d’investigation, surtout sur les causes qui mènent vers l’accoutumance aux drogues. « Où sont les assistants sociaux ? C’est le rôle de ces derniers de rechercher les causes et d’accompagner les malades avant qu’ils ne sombrent définitivement », dira-t-il.      

Ramdane B.

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