On tire des plans sur la comète

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La prospective ne vient pas du département où on l'attendait le plus. Elle vient du Conseil supérieur de la langue arabe dont le président, Azeddine Mihoubi, prédit la domination exclusive, d'ici un siècle, des langues anglaise, chinoise et arabe. C'est là la "préoccupation" développée par son auteur dans une conférence donnée le mois de juin dernier à l'École supérieure des sciences politiques d'Alger.

Sur la terre d’Algérie où règne l’impunité pour tous ceux qui se réclament de la sphère ou de l’aréopage des  »intellectuels », l’on ne devra sans doute pas être surpris de continuer à entendre, de la part de certains, des raccourcis et des conclusions trop diligemment tirés d’une conception fantaisiste qu’ils se font du siège qu’ils occupent. Si les anciennes et redondantes lubies, sur le plan de la culture et de l’idéologie, étaient l’œuvre de la vielle garde du parti unique- réclamant l’arabisation tous azimut de l’environnement algérien et s’opposant, avec un comportement martial, à la langue amazigh-, la nouvelle tendance en vogue croit pouvoir se draper du sens et de la magie de la science de la « prospective « pour faire passer un message d’une qualité douteuse; en tout cas, loin de toutes les préoccupation des Algériens. Mais, l’on se permet la prospective qu’on veut ou qu’on peut. Même avec les efforts fébriles du Secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé de la Prospective et des Statistiques, Bachir Messaitfa, l’Algérie n’a pu jusqu’ici esquisser de grandes opérations de prospective pour son économie et sa société. Le Secrétaire d’État s’est démené sur tous les fronts (séminaires, journées d’études, interventions dans la presse,…) pour faire connaître les missions de son département et espérer créer des directions régionales dans les wilayas. Mais, apparemment, la prospective ne vient pas du département où on l’attendait le plus. Elle vient du Conseil supérieur de la langue arabe dont le président, Azeddine Mihoubi, prédit la domination exclusive, d’ici un siècle, des langues anglaise, chinoise et arabe. C’est là la « préoccupation » développée par son auteur dans une conférence donnée le mois de juin dernier à l’École supérieure des sciences politiques d’Alger. Entre autres facteurs de cette future domination, il avance l’explication que, ces trois langues, sont caractérisées par leur hétérogénéité structurale, sémantique et environnementale. Autre explication: l’argument démographique (les Arabes croîtront de 72 millions d’habitants et les Chinois de 166 millions d’ici 2050). Indépendamment du débat qu’un tel sujet pourrait susciter auprès des linguistes, sociologues, prospectivistes,…etc., l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur cette forme de coquetterie intellectuelle par laquelle le Conseil supérieur de la langue arabe compte  »investir » le terrain du débat et de la recherche. Concernant la manière dont est enseignée et pratiquée la langue arabe en Algérie, le Conseil semble muet ou bien béatement satisfait. On sait que le ministère de la Justice a pris la décision, il y a quelques années, d’obliger toute personne ayant affaire aux services de la Justice de faire traduire tous les documents présentés aux tribunaux (requêtes, titres de propriété testaments, contrats, marchés, expertises,…) en arabe. L’affaire s’avéra éreintante pour les pauvres citoyens (un temps précieux à perdre et surtout un coût exorbitant à payer pour des prestations de traduction). Les traducteurs officiels, auxiliaires de justice, se multiplièrent en s’installant en cabinet. Leur chiffre a atteint les 800 traducteurs. Alors que les ménages et les entrepreneurs se plaisantaient des honoraires excessifs des notaires, on les affligea d’une autre charge, encore plus lourde. Pour diverses raisons- à commencer par les approximations et les erreurs contenues dans les traductions- le ministère de la Justice annula en décembre 2012 l’obligation de traduction. Les 800 traducteurs crièrent à la trahison. Le 15 juin dernier, ils en appellent aux hautes autorités du pays pour les délivrer du…chômage. Sur des sujets aussi stratégiques, le Conseil supérieur de la langue arabe n’a, apparemment, aucun avis à donner. Surtout, aucune prospective à faire. Qui peut juger de la capacité de la langue arabe à restituer fidèlement le contenu des contrats et marchés publics, parfois soumis à l’arbitrage de tribunaux internationaux?  Pourquoi, au dernier festival international du livre et de la littérature de jeunesse tenu à Alger le mois de juin passé la langue arabe n’a eu droit qu’à la portion congrue? La presse arabophone n’a pu que déplorer le peu de place qui est revenu à l’arabe sur les deux milles livres présentés.

Indépendamment du débat qu’un tel sujet pourrait susciter auprès des linguistes, sociologues , prospectivistes , …etc. , l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur cette forme de coquetterie intellectuelle par laquelle le Conseil supérieur de la langue arabe compte  »investir » le terrain du débat et de la recherche.

Pourquoi les textes littéraires étudiés par les lycéens, en filières sciences, gestion et mathématiques, ne concordent pas avec le contenu de ces filières pour donner un continuum cognitif tel qu’il se décline dans les autres écoles du monde? L’on maintient dans la rhétorique et la poésie médiévale des élèves censés développer, demain, un discours scientifique en relation avec leur formation. Les textes en langue française, même s’ils ont perdu de leur niveau d’antan, demeurent toutefois en phase le profil des élèves. L’arabisation au rabais, telle qu’elle est déplorée en son temps par feu Mostefa Lacheraf, continue son bonhomme de chemin. Avec le procédé du copiage à l’examen du baccalauréat, permis, il faut le dire, par la « pédagogie » du psittacisme, les élèves ne retiennent ni la poésie d’Abou Nouas, ni les subtilités métaphoriques d’Al Mutanabbi. Les analystes qui parlent d’analphabètes bilingues ou trilingues- concept algérien sui generis- délireraient-il? L’utilisation de l’arabe, son enseignement, son destin de devoir coexister avec Tamazight et la langue française, sont des sujets qui ne concernent visiblement pas le Conseil supérieur de la langue arabe. La conclusion est alors fort simple: quels sont le rôle et la mission de cette institution. En tout cas, il faudra garder les pieds sur terre quant aux prospectives  »extra muros ». Les Algériens ont d’autres priorités.

On se souvient que, au début des années 2000, le Président Bouteflika avait  »remis à sa place » le président de l’Association de défense de la langue arabe, lorsque ce dernier a transmis un lettre de protestation au président de la République dans laquelle il lui reprochait de s’exprimer en français. Bouteflika révélera à la télévision qu’il a demandé au président de l’association de s’occuper de sa mission. Combats d’arrière-garde, trahison des clercs et autres comportements de rentiers du système, ont tendance à pulluler et à s’exhiber avec ostentation dans un pays qui a perdu les valeurs du travail et le sens de l’effort, tout en se refusant à toute forme de vraie prospective.

Amar Naït Messaoud

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