Benachenhou et nous

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Par Salim Korsane

C’est un caractère. Oui, c’est un caractère. Et par dessus le marché, c’est une compétence. Oui une compétence. Allez donc faire avec.Abdelatif Benachenhou nous dit donc, dans son dernier bouquin, deux évidences, mais deux évidences dites par lui méritent l’exergue. En substance : « les Algériens gaspillent outrageusement leurs ressources ; Mais ils ont encore tous les atouts pour gagner, sauf que demain il sera trop tard. » C’est tout.Débarrassé des scories de l’académisme et du « pathos » universitaire, « Le Prix de l’avenir » se lit d’un trait. Le pédagogue use, sans didactisme, d’un style clair et direct, accessible à tous. Et il dit des vérités. L’étonnant est qu’il le fait tranquillement, assuré de ses convictions, sinon de ses certitudes. Ni esprit polémique, ni volonté de règlements de comptes. Un diagnostic froid, clinicien, accompagné de témoignages et de propositions.Le livre n’est pas une sorte de « One Man Show ». C’est la deuxième surprise. Des compétences connues et reconnues ont collaboré à l’ouvrage qui est donc une œuvre collective. On citera, sans épuiser une liste qui est longue, Mustapha Baba Ahmed, Mohamed Elyes Mesli, Tahar Hadji, Mourad Khelladi, mais aussi Sandra Martinez et Alberto Moons de la Société Pluspetrole….La terre, I’eau, les énergies, les pollutions : sur ces chapitres, I’auteur dresse un état des lieux. Il s’efforce ensuite d’établir pour chacun de ces thèmes, un bilan d’étape et puis il fait appel à témoignage. Il n’oublie pas Hassi Messaoud, ce vieux compagnon de fantasmes, donné pour mort, qui est toujours vivant mais qu’il faut sauver. Et il le sera.Benachenhou ne livre pas de recettes. Il donne à réfléchir, il fait appel au bon sens. Sans paraître y toucher, il nous dit: « Ça suffit, il faudrait tout de même donner un peu de considération à ce que nous avons, à ce que nous sommes. »Il n’y a pas de doute que cet ouvrage va susciter controverses et polémiques mais, I’homme qui est un caractère entier a toujours suscité des sentiments tout aussi entiers : I’adhésion admirative et enthousiaste et à l’opposé, une exécration jalouse et vindicative.Mais il vient de loin, ce bonhomme.Au milieu des années soixante, et si ma mémoire ne me trahit pas, il était dans le registre des Sciences sociales, I’un des rares enseignants de rang magistral, avec notamment Mahiou et Hamid Temar auxquels d’ailleurs il succéda un peu plus tard à la doyenneté de la Faculté des Sciences économiques.Dans un aréopage prestigieux d’universitaires de renom international, Benachenhou ne déparaît pas.En Sciences économiques, en Droit, en Sciences politiques, il côtoyait sans complexe mais aussi sans arrogance des personnages aussi illustres que Tiano, Gallissot, Labica, Verdier, Soulier, Timsit, Dowidar, Gourdon, Etienne, Pascallon et d’autres encore, parce que j’en oublie, qui ont donné intelligence et lustre à l’Université algérienne.En qualité de doyen, Benachenhou avait imprimé une certaine marque à la Maison ne serait-ce que par sa progéniture, et ce travail harassant de formation des esprits auquel il s’était astreint devrait être pour lui, un sujet de méditation.Les meilleurs de ses élèves, ou de ses condisciples, ont fini dans des arrières-boutiques de ministères lorsqu’ils n’ont pas eu la chance de trouver asile dans des institutions, universités ou centres de recherches étrangers qui ne demandaient pas davantage que de les accueillir. Les moins méritants, pour ne pas dire les plus médiocres, accédaient alors (nous sommes dans les années folles des « Eighties » ), au rang de ministres ou de grands commis de l’Etat. Mais il est vrai, qu’on changeait de ministre comme un homme honnête change de chaussettes; il n’en reste pas trace.En qualité de Secrétaire général de l’Association des Economistes du Tiers- Monde, Benachenhou avait su capitaliser le prestige alors au zénith de l’Algérie, pour rassembler la fine fleur des économistes du Monde, dont des Prix Nobel. Mais beaucoup s’étaient ralliés sur son nom J’en porte témoignage.Après un bref passage à la Présidence de la Commission des Affaires Economiques du Parti où il laissa la place, décidément volatile, à Belaïd Abdesselam, son ennemi intime, il fallut se ranger. Exit les idées et les convictions d’un bord ou de l’autre. Place à « Hamid la Science » et aux papes du P.A.P, crachotant et bafouillant. Avec à l’arrivée, le cul-de-sac financier de 1986 et la culbute politique de 1988, avant que les « Chamans » du « Ça passe ou ça casse » viennent, avec leurs calembredaines tintinnabuler à nos oreilles.La casse, on a vu, on a vécu : elle fut sanglante.Le « gaspi », même si Benachenhou, serein et retenu, ne le dit pas. Ilest là. Il est le gaspi du siècle.Alors que faire ?Pour l’ancien ministre, il s’agit de « construire la durabilité en Algérie », gérer de manière durable les ressources naturelles, léguer aux générations futures un potentiel de croissance.Quelques pistes de réflexion ainsi que des mesures pratiques sont proposées afin d’aller de l’avant sur la voie du développement durable où les premiers jalons ont d’ores et déjà été posés.Trois questions principales sont ainsi soulevées : celle du nécessaire rééquilibrage du financement du développement durable dont il importe de répartir progressivement et de manière plus équitable le fardeau entre les différents acteurs: Etat, collectivités locales, usagers; celle de l’adaptation des mécanismes institutionnels pour concevoir et mettre, en œuvre les politiques publiques et le développement des compétences au sein des institutions spécialisées ; celle de la terre conçue comme espace écologique, propriété et capital économique. Une telle approche appelle la clarification des droits de propriété, d’exploitation, d’accès et d’usage, leur aménagement partiel si cela s’avère nécessaire.Comment faire ? D’abord mobiliser et responsabiliser les acteurs (Etat, collectivités locales, entreprises, citoyens etc…). La décentralisation et l’amélioration des ressources financières locales sont perçues comme des leviers indispensables du développement durable.Là, réside la clé du succès: dans la capacité à construire le dialogue avec les différents acteurs pour en faire des partenaires et des contributeurs efficaces au financement du développement durable.Voilà le prix qu’il faudra payer pour le développement durable. Il faut lire « le prix de l’avenir », pour savoir ce que l’on veut, comment l’obtenir et combien ça coûte. Un ouvrage tonique et oxygénant.

S. K.

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