Quand le chirurgien Amine prononce cette phrase au milieu de ce roman, il a tout perdu avec le “départ” de sa Sihem qui était tout pour lui. Mais pour cette dernière, Amine ne représentait pas tout. Il y avait cette cause pour laquelle elle vouera sa vie en se transformant en kamikaze. Sihem sera l’auteur d’un attentat-suicide qui entraînera la mort de dix-sept Israéliens, dont des enfants. Durant leur vie conjugale qui s’étale sur plus d’une décennie, Amine ne savait absolument rien des activités subversives de sa femme. Mais qu’est-ce qui peut inciter une épouse à cacher une chose aussi importante à son mari dont elle est amoureuse pourtant ? Du moins, c’est ce que croit Amine jusqu’à ce que survienne la tragédie. Le comble, c’est qu’au moment de l’évacuation des victimes à l’hôpital, Amine est de permanence et tentera de sauver la vie à plusieurs blessés graves. Le jour de l’attentat, Amine a donc une journée trop chargée et il ne rentre que tard chez lui. Au moment où il allait s’assoupir, il est trois heures du matin. Le téléphone sonne et un officier de police, qui est son ami, l’instruit d’aller à l’hôpital séance tenante. Amine essaye de lui expliquer sa lassitude mais l’officier insiste et lui fait état de l’urgence de la situation. En arrivant à l’hôpital, l’officier éprouve des difficultés à lui dire de quoi il en retourne. Après maintes tentatives, il finit par l’inciter à reconnaître le cadavre, ou ce qui reste du cadavre de sa femme. Amine tombe des nues. Mais le choc sera encore plus exacerbé lorsqu’on lui apprendra que c’est sa femme qui est derrière l’attentat : “L’espace d’une fraction de seconde, l’ensemble de mes repères se volatilise. Je ne sais plus où j’en suis, ne reconnaît même plus les murs qui ont abrité ma longue carrière de chirurgien. La main qui me retient m’aide à avancer dans un couloir évanescent. La blancheur de sa lumière me cisaille le cerveau. J’ai l’impression de progresser sur un nuage, que mes pieds s’enfoncent dans le sol. Je débouche sur la morgue comme un supplicié sur l’échaffaud. Un médecin veille sur un autel… L’autel est recouvert d’un drap maculé de sang… sous le drap maculé de sang, on devine des reste humains”.Amine ne sait plus comment réagir à une situation des plus imprévisibles. Que faire ? Au début, il ne croit pas que sa femme ait pu faire un tel acte. Malgré l’insistance de l’officier, Amine ne veut rien comprendre car il s’agit d’une chose incroyable. Amine campera sur sa position jusqu’à ce qu’il reçoit une lettre mystérieuse. En recevant l’enveloppe, il a failli s’effondrer, en reconnaissant l’écriture de sa femme. Il ouvre avec hâte l’enveloppe et découvre un tout petit message de sa femme. En quelque sorte, cette dernière lui répond pourquoi elle a fait cela. Voici le dernier message laconique de Sihem : “A quoi sert le bonheur quand il n’est pas partagé, Amine, mon amour ? Mes joies s’éteignaient chaque fois que les tiennes ne suivaient pas. Tu voulais des enfants. Je voulais les mériter. Aucun enfant n’est tout à fait à l’abri s’il n’a pas de patrie… Ne m’en veux pas”. Cette lettre est un couperet. Amine se lancera dans une longue investigation afin de tirer au clair cette histoire. Il imagine un tas de conjonctures. Il pense que sa femme l’a trompé avec son cousin Adel qui, pense-t-il, est à l’origine de l’entreprise de Sihem. Mais après une longue enquête, il découvrira que ses soupçons étaient infondés. Cet événement dramatique poussera Amine à revenir à ses origines à Jénine. Il se rappellera qu’après sa réussite professionnelle retentissante, il a presque renié les siens et son passé. Il a oublié d’où il est venu. Il revient chez les siens et constate les difficultés insurmontables dans lesquelles ils vivent… Le roman de Yasmina Khadra s’ouvre et se termine sur des attentats. A plusieurs reprises, l’écrivain se lance dans des dissertations sur la vie, son sens, la liberté… Le style de Yasmina Khadra est dépourvu de fioritures, épuré. L’auteur accorde plus d’importance à la narration des faits.
Aomar Mohellebi
