«Ça a commencé vers les années soixante-dix»

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Quel intérêt représente pour vous un tel sujet d’étude ?

L’intérêt de ce sujet d’étude est de répondre à la question fondamentale de la recherche : pourquoi et comment les bilingues Kabyles font-ils recours à l’usage du code switching pour exprimer leurs pensées lors des discussions formelle ou informelle et de mettre en évidence  l’impact de l’usage de code switching sur la langue kabyle ?

Comment expliquez-vous l’apparition de ce nouveau langage et en quoi il affecte la langue d’origine ?

Le mélange des langues apparaît et prend de l’ampleur quand une population devient ou commence à devenir bilingues. Pour la Kabylie, on peut situer l’apparition de ce phénomène vers les années soixante-dix, bien que je n’ai pas fait une analyse diachronique de ce phénomène mais j’ai illustré l’époque historique de l’implantation des deux autres langues en présence, en l’occurrence l’arabe et le français. L’apparition du code switching, en particulier en Kabylie, se résume dans deux points essentiels qui sont, d’ailleurs, très liés. Le premier est d’ordre purement linguistique, comme le signale le philosophe Michel Serres sur la situation des langues actuelles, que je vais paraphraser ici : « toute langue qui veut exister, d’une manière durable et souhaite avoir une place comme langue vivante, elle doit posséder tous les corpus possible, sinon elle régressera ». Et je peux ajouter que son extinction est une question de temps. Le second est lié à la politique linguistique de l’État qu’on peut résumer par ceci : en Algérie, la question berbère est passée de l’ostracisme vers la tolérance. Cette situation est très néfaste pour la promotion d’une langue. Pour moi, ces deux points ont grandement contribué à ce mélange de langues. L’impact du code switching, pour le moment, n’affecte pas et ne modifie en rien le cadre morphologique et syntaxique de la langue kabyle. Par contre, la modification est très visible sur le plan lexical, sans rentrer sur la différence entre l’emprunt et le code switching. 

La langue est le reflet de la société et vouloir purifier la langue c’est purifier la société ?

La question est intéressante. Je vais répondre sans faire recours à celle-ci. La langue est l’image et aussi l’identité d’une société. C’est le cas de la Kabylie. Éviter l’usage du code switching pour moi, c’est donner la place qu’il faut à la langue qui subi les interférences linguistiques. Cela n’est pas de la purification d’une langue. Je pense que vous faite allusion aux emprunts linguistiques ainsi qu’à la néologie. Ce domaine est différent du code switching.

Pourquoi le code switching touche-t-il toutes les franges de la société ?

Le phénomène du code switching touche toutes les catégories sociales kabyles, arabisante et francisante. Car la société kabyle, aujourd’hui, est devenue bilingue et on peut même la qualifier de trilingue. La scolarisation massive et d’autres facteurs comme l’immigration, la télévision… ont accéléré ce phénomène. À présent, toutes générations confondues pratiquent aisément le mélange des langues. Regardez en Kabylie comment les personnes, mêmes illettrées, s’approprient les mots étrangers à la langue d’origine.

Quelles réaction et solution doit-on adopter devant l’ampleur d’un tel phénomène ?

Selon moi, la réaction est de déterminer d’abord toutes les raisons qui poussent les bilingues à mélanger les langues lors de leurs discussions. La solution pour ce phénomène, de mon point de vue, comme je viens de le dire en haut, une langue doit posséder tous les corpus possibles. Pour cela, il faut une prise en charge d’une manière sérieuse par un État fiable.

Entretien réalisé à Paris,

par Tahar Yami.

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