L’entretien inachevé…

Partager

Ce sont deux grands noms algériensdes arts L’un poète, romancier et dramaturge, en l’occurrence Kateb Yacine. L’autre, musicien, chanteur, aussi prestigieux, aussi talentueux, à tel point qu’on le surnommait le Cardinal, n’est autre que L’Hadj El Anka.

En effet, les deux géants se retrouvaient souvent, dans les années soixante-dix, au bureau de l’Action Culturelle des Travailleur, situé alors au boulevard colonel Lotfi, à Bab-El-Oued.  Leur projet, qui n’a malheureusement pas abouti, était de réaliser un livre biographique sur  la vie, aussi riche que tumultueuse, aussi intense que créative, aussi révolutionnaire qu’originale, de L’Hadj El Anka. Ils se rencontraient autour d’un magnétophone à bande pour tout déballer, tout raconter, tout dire, ne rien laisser dans l’ombre. C’était du moins la perception qu’avait Kateb de cette œuvre future. Ce n’était pas celle d’El Anka qui était lui timoré par les convenances, les qu’en dira-t-on, les conventions sociales qui bridaient ses confessions. Yacine Kateb voulait que l’homme qu’il avait en face de lui, lui parle de tout, sans cachotteries, sans faux-fuyant. El Anka, quant à lui, voulait préserver certains détails de son parcours d’homme et d’artiste qui ne regardait que lui stricto sensu. Ce qui a fini par mettre un terme à ce beau projet, mais pas aux relations faites de respect qu’avaient l’un pour l’autre les deux monuments. Que nous reste-t-il de cet entretien ? Beaucoup d’enseignement de 1ère main sur le vécu de l’artiste, sur le grand respect quasi mystique qu’il vouait à son art et le mépris qu’il ressentait à l’égard de certains de ses pairs et de ses élèves qui  « ont préféré le matériel  à la promotion du châabi ». C’est dire qu’ El Anka caressait le vœu d’achever son art de lui apporter cette touche qui lui manquait pour être un art majeur et aspirer à l’universalité. « A l’indépendance du pays, nous projetions de peaufiner davantage ce genre. Malheureusement, certains se sont laissés tenter par le gain facile. C’est légitime certes, mais pas à n’importe quel prix. Ils se sont mis aussitôt à créer des orchestres  et à enregistrer  des  reprises de « Qsaïd » ou de chansonnettes qu’ils ont affublées du titre de ‘’ankaoui’’. D’autres (nous ne citerons pas leurs noms par égard pour leur mémoire ou leur âge avancé) s’adonnaient à de bas métiers dans les lieux mêmes où ils exerçaient leur vocation ». En fait El Hadj paraissait déçu, très déçu même,  par la tournure qu’ont prise quelques-uns de ses anciens amis ou élèves. Seul trouvait grâce à ses yeux L’Hadj Mrizek. Il parlait de lui avec une affection sans bornes. Il disait de lui qu’il « le chargeait souvent de le remplacer à la radio » lorsque son programme était  chargé ou qu’il était pris ailleurs. Une autre révélation qu’a faite El Hadj à Kateb, c’est « qu’il n’a jamais marchandé sur son art, qu’il n’a jamais exigé un sou de ceux qui le sollicitaient et qu’il était prêt à défier quiconque qui soutiendrait le contraire ». Kateb Yacine posait ses questions à El Anka avec la déférence due non seulement à un aîné mais surtout à son rang et à son apport gigantesque à la musique, algérienne d’abord, puis maghrébine. « Aami El Hadj, comment vous est venue l’idée du mandole ? » «  Je voulais un instrument qui rassemble deux sonorités en une seule, celles de la guitare et de la mandoline. Je me suis adressé à Belido, un  maître luthiste d’Alger qui l’a réalisé ». Cet entretien n’a malheureusement pas atteint l’objectif fixé par ses initiateurs au départ, un livre sur la vie et l’œuvre d’El Anka écrit par Kateb Yacine. Il n’en demeure pas moins que ce débat, bien qu’il n’ait pas vu le jour dans sa version livresque, peut assurément servir la mémoire des deux hommes, Kateb et El Anka, à condition que ceux qui sont en possession de l’enregistrement intégral, malgré le fait qu’il soit inachevé pour les raisons évoquées plus haut, mettent de côté l’égoïsme et l’orgueil, pour servir l’intérêt général en le mettant à la portée des Algériens.

Sadek  A.H.

Partager