Les cris de joie poussés dans l’espoir d’étouffer la défaite consommée ne peuvent dévier d’une analyse sérieuse.L’entêtement de certains acteurs politiques à continuer leur fuite en avant, et leur refus de regarder la réalité en face, peut altérer les lectures faites sur la base des chiffres. Il est indéniable que les partielles du 24 novembre ont instauré une nouvelle ère en Kabylie et constituent les prémices d’un nouveau paysage politique dans la région.70% d’abstentionLes électeurs kabyles ont boudé urnes jeudi dernier d’une manière massive et sans appel. Ce fort taux d’abstention est révélateur à plus d’un titre sur la portée et l’influence des partis traditionnels dans la société. Ainsi, tenez-vous bien, pas moins de seize (16) partis politiques ont participé à ces élections dans les wilayas de Béjaïa, Bouira, Tizi Ouzou et Boumerdès.Ces seize formations agréées ont toutes appelé les citoyens à aller aux urnes, et n’ont réussi à convaincre que 30% (sachant que sur ce nombre, il y a les “votants invétérés” qui n’ont pas besoin d’être convaincus par qui que ce soit pour accomplir leur devoir). Ces mêmes partis n’ont de cesse de répéter que “la Kabylie est la locomotive de la démocratie”, pour signifier l’importance de la chose politique dans la région et l’intéressement des citoyens. Dès lors, si 7 électeurs sur 10 se sont abstenus, il est clair que ce geste ne peut être interprété que comme un désaveu de la classe politique traditionnelle. Sinon comment expliquer que le 23 octobre 1997, le taux de participation aux locales a été de 53% si ce n’est qu’entre temps (8 ans) les partis ont perdu de leur crédibilité et influence ?La fin du monopoleLes élections de 1997 pour les APC et les APW sont une référence par le fait que ce scrutin a été pluriel et s’est déroulé dans de bonnes conditions, tout comme celui du 24 novembre dernier.Au lendemain du 23 octobre 1997, l’hégémonie du FFS et du RCD sur la Kabylie n’était pas une vue de l’esprit. Les deux partis se sont partagés le gâteau, et même si le FFS en avait pris la plus grosse part durant les locales.Le FLN et le RND n’ont pu se placer entre les deux grosses pointures dans la région.Les résultats des dernières partielles sonnent comme la fin de cet hégémonisme, en installant des assemblées mosaïques, dans lesquelles les majorités absolues sont des cas rares.L’échec électoral traduit la faillite organiqueLe parti de Hocine Aït Ahmed tout comme celui de Saïd Sadi connaissent une saignée importante dans leurs collectifs militants.Les purges que le chef du RCD assume publiquement, et les évictions des cadres des rangs du FFS ne peuvent ne pas avoir d’’effet sur les scores électoraux d’abord, et la qualité des candidats ensuite. L’absence de vie organique et donc de structures proches des populations a creusé le fossé entre ces dernières et les partis.A cela s’ajoute l’émergence du Mouvement citoyen, qui a éclipsé les formations politiques et a tenu les devants de la scène en Kabylie des années durant.La crédibilité paie toujoursLa percée fulgurante des listes d’indépendants durant ces partielles est à méditer et à analyser. Outre que les indépendants ont abordé dans leurs discours de campagne les préoccupations quotidiennes des citoyens, quand les partis évoquaient la loi sur les hydrocarbures, l’ONU, le DRS et la communauté européenne la crédibilité des têtes de liste a été décisive. Les indépendants ont ainsi pris des citadelles que l’on croyait jusque-là imprenables à l’image de Bouezeguène longtemps acquise au RCD. Mais deux cas méritent que l’on s’y penche sérieusement. Le premier est celui de Madjid Begtache à l’APC de Derguina, qui a été reconduit à la présidence avec un score confortable. Le deuxième, n’est autre que Smaïl Mira à Tazmalt, qui a remporté la mairie malgré les farouches oppositions du FFS et du RCD.Recomposition du paysage politiqueCes résultats, plus que la pluralité des assemblées ; l’inexistence de majorité absolue d’un parti nous interpellent par le taux de 70% d’abstention.Il est inconcevable qu’un citoyen qui croit que son quotidien peut changer refuse d’aller voter pour cela. Mis à part la proportion des boycotteurs invétérés qui reste à déterminer, les autres attendent d’être réconciliés avec les politiques. Néanmoins, une chose est certaine, c’est leur refus des politiques actuels, sinon pourquoi n’ont-il pas voté ?La deuxième chose, cette frange (la majorité) qui a tourné le dos aux urnes attend des visages nouveaux, crédibles avec un programme à même de résoudre leurs préoccupations quotidiennes et prendre en charge l’avenir de leurs enfants. Ou les partis existants parviennent à se remettre en cause, ce qui parait difficile, ou d’autres forces vont émerger et les doubler.
Chérif Amayas