Par Amar Naït Messaoud
Ce qui a constitué depuis plusieurs mois, voire même des années, les ‘’choux gras’’ de la presse écrite dans notre pays, à savoir le phénomène de corruption dans toutes ses dimensions et sous tous ses aspects, vient de connaître un bel épilogue; une sorte de révolution dans les institutions algériennes. Un épilogue qui, certes, n’est qu’un commencement d’une procédure, mais qui a son pesant de symbolique et de prestige pour un pays qui en a bien besoin, car, depuis longtemps, enlisé dans la médiocrité la rente et les affaires interlopes. En lançant un mandat d’arrêt contre l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, et ses acolytes (y compris sa femme et des enfants), la justice algérienne a frappé un grand coup; un coup qui frappe l’esprit des citoyens longtemps engoncé dans la fatalité de l’impunité. Pour la première fois dans l’histoire de la république algérienne indépendante, un ministre, et quel ministre!, est officiellement poursuivi par la justice de son pays. Que le mandat d’arrêt international puisse rencontrer des difficultés d’application, ou que l’extradition de la personne mise en cause vers l’Algérie ne passe pas nécessairement comme une lettre à la poste, l’essentiel dans ce genre d’affaire et pour un pays comme l’Algérie, habitué à l’impunité dans un grand éventail d’affaires, est qu’il y ait un déclic. On peut toujours gloser sur la lutte des clans, le rapport de forces qui les régissent et la possibilité que toute l’affaire relève de ‘’règlements de comptes’’. Mais, depuis quand les règlements de comptes dans la haute sphère du sérail se font ‘’pacifiquement’’, par le recours à la justice? Le temps n’est pas loin- au début de l’Indépendance et même vingt ans plus tard-où les de conflits entre pontes du système se terminaient, à quelques exceptions près, par des liquidations physiques, ici où sur une terre étrangère. La nouvelle ère qui s’ouvre dans la gestion des affaires de corruption poussera-t-elle nos institutions vers une autre étape, celle d’une culture pacifique, d’un traitement civilisé des affaires de la cité? Les franges les plus éclairées de la société les classes qui souffrent le plus de la gestion rentière et belliqueuse de la société l’espèrent de tout leur cœur. La Justice algérienne n’aurait fait que ‘’prendre le relais’’ de l’action engagée par d’autres parties (le parquet italien, entre autres)? C’est un fait qui, d’abord, n’est pas vérifié et qui, même s’il est vrai, n’enlève rien au caractère révolutionnaire de cette nouvelle réalité des mœurs et des usages des instances judiciaires algériennes. Il faut dire que le phénomène de la corruption a pollué l’atmosphère politique dans notre pays et a discrédité l’appareil administratif et judiciaire, tout en constituant un frein au développement économique. Si les chiffres avancés par les Italiens sont vrais (presque 200 millions de dollars de pots-de-vin pour des marchés d’environs 8 milliards de dollars contractés par Saipem auprès de Sonatrach), il ya lieu de s’inquiéter sur le caractère dissuasif de ce genre de pratique pour les investissements étrangers dans notre pays; tout en sachant que même les investissements nationaux sont grevés des mêmes pratiques face à une administration bureaucratique, sous-valorisée, tatillonne et incompétente. L’on sait que les affaires de corruption, de malversation et de dilapidations de deniers publics dans les structures de l’État (administrations ou entreprises publiques) évoluent en fonction de l’environnement juridique-code des marchés publics et autres règlements inhérents à la concurrence supposée loyale- et des brèches ouvertes à son exploitation à des fins d’enrichissement personnel. Ces affaires scandaleuses évoluent également en fonction du volume des transactions et des marchés conclus avec des fournisseurs et des prestataires de service (études et travaux). Pour illustrer ce cas de figure, l’ancien Premier ministre expliquait que ‘‘les institutions publiques n’ont jamais eu à gérer autant d’argent que lors des derniers plans quinquennaux de développement». Tout en gagnant en ampleur- par les volumes financiers volatilisés et les secteurs affectés, au point où certains en sont arrivés à parler de la «démocratisation’’ de la corruption-, cette dernière gagne paradoxalement aussi en levées de tabous. Les langues se délient, la presse ouvre des dossiers, la société civile s’indigne et le fait savoir de différentes façons. Les autorités politiques du pays, tout en faisant montre d’une certaine sérénité se sentent dans l’obligation, non pas d’agir, d’interférer ou d’innover dans la législation, mais simplement de laisser faire la justice! C’est révolutionnaire, et la République n’a pas intérêt à s’arrêter en si bon chemin.
A. N. M