à coeur et à cris, roman posthume de Tahar Limane

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C’est l’œuvre d’un instituteur qui a terminé sa carrière comme inspecteur, au début des années 2000, qui est arrivée  sur les étals. Il s’agit d’une histoire romanesque de Tahar Limane, publiée à titre posthume. A coeur et à cris est paru aux éditions El Amel. Un témoignage poignant sur les souffrances, les drames et les engagements des siens, de cet humble homme, originaire d’Agouni Fourrou (Douar Kouriet), au pied du Djurdjura. Tout comme  Mouloud Feraoun,  Mouloud Mammeri, Tahar Ouseddik, pour ne citer qu’eux, avec qui li partage le fait d’avoir été enseignant et l’un des pionniers de l’éducation, avant et après l’indépendance, Cheikh Tahar, comme le surnomment les gens qui le connaissent, a retracé dans ce livre, l’ignominie coloniale et la bravoure des siens. Onze chapitres sur une lutte où se mêlent douleurs et joies. L’auteur a choisi de commencer par cette réunion, entre Dda Saïd Slimane, Ammi Mouh, Si Ahmed et les autres, au clair de lune, dans un endroit boisé. « Regroupez vos hommes et rendez-vous demain au lieu indiqué. Une fois sur place, je vous dirai ce qu’il y a de faire. Je vous remercie », dit Dda Saïd au groupe. Cheikh Tahar a consacré deux pages du livre à la vie de Ammi Mouh, ce personnage que tout le monde connaît pour sa bravoure.  Quelques jours après  la tenue de cette réunion clandestine, Slimane tira sur un individu, accusé d’être un indicateur. Le marché lieu de l’attentat, fut alors bouclé par les soldats français et toutes les personnes présentes subirent les pires humiliations. La personne visée était Dda Hamou, le président du centre municipal, soupçonné d’avoir « donné » un militant FLN. C’est ce qui fut propagé dans tout le douar. Dans un enchevêtrement parfait de tous ces personnages, l’auteur construisit la trame de l’histoire et des événements de cette période. Au fur et à mesure, l’auteur revient sur les valeurs des siens, notamment leur solidarité dans les moments difficiles. Il nous rapporte, par exemple, la compassion des femmes du village à l’égard de la veuve du couturier de Berroughia, Ahcène, froidement abattu, ainsi que son accompagnateur « Azzoug », à Beni Slimane,  par les militaires, alors qu’ils se dirigeaient vers Berrouaghia. Ils étaient accusés d’avoir commis l’attentat du marché de Beni Slimane. Pourtant, ces deux hommes avaient sur eux un « laissez-passer » signé par le capitaine Duroch du camp militaire de Fourrou. Malha, la femme d’Ahcène et son fils étaient dans la voiture en train d’attendre le retour des deux hommes partis acheter quelques fruits et légumes. « Dda Saïd et son groupe ne cessèrent pas de harceler et d’attaquer les militaires », racontait Tahar à des proches, auxquels il prenait plaisir à raconter l’histoire de son village, bien avant l’écriture de ce livre témoignage. On y apprend également comment Dda Saidh, blessé ne voulut pas être à la charge de son groupe et préféra s’abriter dans une grotte et attendre. Il eut même la force et le courage de tirer sur le pilote de l’Hélicoptère qui les bombardait. Un obus finit par atteindre la cachette et le déchiqueta. Au fil des pages, on découvre des scènes de solidarité et d’entraide entre les villageois, mais aussi l’ampleur de l’horreur. L’auteur décrit l’ignoble torture que subissaient, dans les caves du campement militaire, les femmes du village, dont les maris ou les proches s’étaient engagés dans la guerre de libération nationale. C’est le cas de Sekoura, de H’Voucha ou de Ghenima. Avec une douleur atroce, remplie d’humiliations et de frustrations, Sekoura serrait sa mère et lui chantait les paroles du légendaire Sidi Ali Nath Sidi Amar de Fourrou. Et c’est avec ces belles paroles que Cheikh Tahar a terminé son récit :

 

Mon coeur malade guérira

Entre les amis aimés de mon coeur

Des crêtes s’interposent

Dur et long le chemin

Et par delà leurs forces

Baissez les obstacles Dieu aimé

Que mes regards aillent par delà la route

 Et voient les amis diligents

 Qui de nous toujours s’enquièrent

 Alors mon coeur malade guérira

 Sans remèdes et sans talismans.

C’est une traduction de « lahbab thethibid ay ul ».

 

Limane Tahar est né pendant la deuxième guerre mondiale, un certain 30 juillet à Agouni Fourrou. Il y fit ses études primaires. Après l’indépendance, il devint instituteur, puis directeur d’école à Draâ El-Mizan, puis à Aïn Zaouia. Il fit l’école normale de Bouzaréah (Alger). Il fut promu professeur de français au CEM Krim Rabah de Draâ El-Mizan avant de devenir inspecteur de l’enseignement fondamental jusqu’à l’âge de sa retraite en 2001. Il décéda le 9 décembre 2002 à Draâ El-Mizan. Il fut enterré dans son village à Agouni Fourrou parmi les siens.  

Amar Ouramdane

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