Le Conseil des ministres tenu dimanche dernier a, parmi les projets de lois qu’il a mis sur la table, celui des activités et du marché du livre, par lequel les pouvoirs publics comptent «consacrer le secteur du livre comme stratégique».
Par Amar Naït Messaoud
Au centre de cette nouvelle préoccupation, on entend développer et renforcer les réseaux de librairies de façon à mieux assurer la diffusion du livre. Le Parlement va examiner ce projet de loi au cours de sa session d’automne qui est déjà ouverte. Il est dit dans le communiqué du Conseil des ministres que ce projet vise à «développer et encourager l’écriture, la production et la commercialisation du livre en Algérie, et à favoriser sa promotion et sa distribution«. Une grande ambition qui coïncide avec les moments les plus durs, les plus troubles et les moins joyeux de l’activité de la lecture en Algérie. Ce ne sont pas des festivités, à l’image de celle intitulée ‘’Lire en fête’’, ou les salons occasionnels, comme celui qui se prépare à Alger pour le 31 octobre prochain, qui pourront bouleverser fondamentalement la donne, même s’ils sont toujours les bienvenus dans la sécheresse culturelle qui frappe notre jeunesse de plein fouet. En août dernier, Mme la ministre de la Culture, Khalida Toumi, appelait pathétiquement les élus locaux à «soutenir et ouvrir plus d’espaces publics» au festival culturel «Lire en fête«; afin de faire profiter le plus grand nombre d’enfants de cette manifestation de proximité. Depuis quand, exception faite des anciennes bibliothèques communales des années soixante-dix du siècle dernier, les élus locaux s’occupent-ils de l’activité de la lecture et de la diffusion du livre? Aujourd’hui, le plus ingénu des citoyens demanderait aux élus de s’occuper du cadre de vie de la commune (minimum d’hygiène: collectes des ordures, assainissement) et de la bonne prestation des services publics liés à la municipalité. On a même eu des mini scandales de corruption suite à des opérations de distribution de prix à des bachelier ou collégiens. Des livres anodins ou des calculatrices ont été facturés aux APC au prix d’un téléphone portable. En se donnant pour but de vouloir «répondre aux préoccupations des professionnels du livre (éditeurs, libraires)’’, par une régulation stricte du réseau de distribution et d’importation, l’on ne sait pas encore si, dans sa déclinaison pratique et détaillée, le projet de loi en question étendra son action au soutien du livre, au renforcement du réseau de lecture et à la réhabilitation du réseau des bibliothèques. Le ministère de la Culture réfléchit actuellement à la création d’une structure de distribution composée d’entreprises, publiques et privées, spécialisées dans l’édition et l’impression, et ayant comme locomotive l’Entreprise nationale des arts graphiques (ENAG), sise à Réghaïa. Que l’on se souvienne. Les services que l’entreprise ENAG a rendus aux lecteurs entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990 sont immenses. En effet, c’est au cours de cette période, la plus difficile de l’histoire de l‘Algérie indépendante, que cette entreprise publique, parallèlement aux embryons prometteurs d’entreprises privées, telles que Laphopmic et Bouchene, a réédité les meilleurs titres de la littérature universelle, perdus depuis longtemps sur les rayons de nos libraires. Une grande partie de ces dernières fut convertie en fast-food ou pizzeria dès l’avènement de ce qu’on a précipitamment appelé l’ ‘’ouverture économique’’, ce qui correspondit, en réalité à un bazar qui ne dit pas son nom. L’Enag réédita Mouloud Feraoun, avec une magistrale préface pour La Terre et le Sang écrite par Mouloud Mammeri (quelques mois avant sa disparition en février 1989). On eut droit à plusieurs titres de Balzac, Zola, Hugo, Stendhal, Gérard de Nerval, Montesquieu, Alexis de Tocqueville, les Milles et nuits, et d’autres ouvrages, en arabe et en français. C’est à la même période que Laphomic publia l’une des premières traductions en tamazight d’un texte littéraire de dimension universelle. Il s’agit du célèbre Prophète de Khalil Gibrane, traduit par Farid Abache. Laphomic a aussi édité sous forme de livret, la célèbre interview que Mouloud Mammeri a donnée à Tahar Djaout, avec, en supplément, une sottie (sorte de pièce de théâtre) intitulée La Cité du soleil. Ce fut un début prometteur, particulièrement lorsqu’on considère les restrictions, la bureaucratie et la censure qui ont frappé l’ancienne maison d’édition étatique, SNED (société nationale d’édition et de diffusion), devenue ENAL (entreprise nationale du livre). Une grande partie des écrivains algériens se faisaient éditer à Paris (pour les livres d’expression française) ou à Beyrouth (pour la littérature de langue arabe).
Lorsque le ‘’gisement’’ de lecteurs s’assèche
L’ébullition politique et culturelle qui a succédé aux événements d’octobre 1988 donnait l’illusion que tous les obstacles sont tombés et que toutes les portes sont ouvertes à la libre expression culturelle. Cependant, c’était compter sans deux données majeures qui allaient tirer les ambitions de la jeunesse algérienne vers le bas: premièrement, le niveau scolaire et universitaire qui baissait continuellement jusqu’à faire perdre la notion de la lecture aux élèves et aux étudiants; secundo, la nouvelle configuration de l’économie algérienne, dite ‘’économie de marché», mais bâtie en système de bazar et de trabendo sur les reliques de l’ancien système rentier. Ce qui exclura pour longtemps la préoccupation culturelle, et en particulier le livre et la lecture, des priorités des importateurs, des détenteurs de capitaux et même des pouvoirs publics. Même les vieux bouquinistes ont été frappés de plein fouet. Mouloud, le célèbre gérant de la librairie Nedjma, sur la grande rue Michelet à Alger, eut un soupir profond lorsque je lui posai la question, il y a quelques années, sur les nouveautés dans sa boutique. Lui qui voyait se défiler et tournoyer des dizaines de gens, comme dans une ruche, autour des livres (roman, théâtre, poésie, mémoires, essais politiques, philosophie,…), reconnaissait que les gens ne lisaient plus. Avant, les échanges de livres qui avaient cours ici faisaient que, au bout d’une journée, seuls 10 à 15 % des titres de la veille pouvaient être encore aperçus le lendemain matin. Et chaque jour c’était la fête. Le lectorat n’étant plus ce qu’il était, le livre a eu un autre destin. Les choses se compliqueront davantage avec la révolution technologique du multimédia et de l’Internet qui, dans notre pays, a balayé d’un revers de main ce qui restait de tendance de lecture. La faute ne revient pas à la technologie, puisque elle-même porte les possibilités d’accéder à la lecture à son maximum, via la lecture en ligne et les téléchargements. Ce fut plutôt l’indolence qui régnait dans les structures scolaires universitaires, en matière de lecture, qui fut renforcée dans ses positions. Le Centre national du livre, créé en 2009 au sein du ministère de la Culture, a été chargé de mener des études nationales sur l’activité de lecture en Algérie (statistiques, tendances), et ce, à partir des bilans et résultats de l’activité des libraires. Néanmoins, il serait plus que souhaitable qu’une étude complète soit menée sur la lecture chez les jeunes, et qu’elle touche surtout les programmes scolaires (du primaire au lycée) pour arrêter le bon diagnostic. Éplucher les textes de lecture qui sont donnés en classe, juger de la compétence des enseignants à transmettre le goût et l’amour de la lecture et apprécier également le niveau des activités culturelles dans les écoles (théâtre, journaux scolaires,…) qui s’inspirent des grandes idées liées au domaine de la lecture.
A. N. M.