Plaidoyer pour un écotourisme lié au milieu aquatique et fluvial

Partager

Ayant bénéficié de la mise en eau en 2004 et mis en service en 2009, le barrage de Tilesdit, situé au piémont sud du Djurdjura, dans la commune de Bechloul, est aujourd’hui un ouvrage imposant.

Par Amar Naït Messaoud

Imposant par sa capacité 167 millions de M3; par l’envergure de l’étalement de son plan d’eau (environ 40 km de pourtour); et, enfin, par sa position géographique, au pied de Lalla Khedidja et Tikjda, le barrage est un élément paysager et esthétique de premier ordre.

Aujourd’hui, hormis son intérêt économique, comme source précieuse d’approvisionnement en eau potable et comme élément moteur du nouveau périmètre irrigué qui est en train d’être réalisé sur les plateaux d’El Esnam et de M’Chedallah, l’on n’a pas perçu d’engouement particulier de l’administration pour faire de cet élément de décor une destination touristique. Pourtant, l’ancien ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Mohamed Benmeradi, en visite l’année passée à Mila où se trouve le barrage de Beni Haroun, a insisté sur ce nouveau trésor de l’activité touristique dans notre pays liée à l’élément hydrique.

Le premier responsable de cette wilaya ira plus loin, en proposant de réaliser une plage artificielle sur les rivages du plan d’eau afin de réduire le nombre de noyades (survenant généralement à cause de la vase qui retient les nageurs comme une ventouse) et d’offrir aux jeunes de la région un espace de détente et de récréation. Par tout cela, le barrage de Tilesdit ne semble pas concerné; du moins lorsqu’on considère le manque d’intérêt de l’administration envers ce genre d’activités. Sur les quatre zones d’expansion et sites touristiques retenues officiellement pour la wilaya (Errich, Tala Rana, Toumliline et Hammam Ksenna), le barrage de Tilesdit n’est pas évoqué même s’il est pratiquement contigu à la zone de Toumliline.

Il ne faut pas être grand clerc pour constater que ce nouvel élément de décor charrie déjà ses flux de jeunes versés dans un tourisme ‘’sauvage’’. En effet, été comme hiver, des dizaines de véhicules stationnent le long des bandes accessibles du plan d’eau, aussi bien du côté de la commune d’El Esnam, que de la commune de Bechloul. Des jeunes s’y livrent à leurs plaisirs préférés. Et on en retrouve les traces par la présence de centaines de bouteilles de bière décapsulées, de sachets et de restes de repas froids consommés sur place.

Beaucoup de couples et de familles regrettent de ne pas pouvoir s’y rendre à cause de l’insécurité et du non aménagement des lieux. Il faut savoir que le lac d’eau est superbement entouré de forêts (massif des Azerous) et dessine de belles calanques qui méritent des aménagements spécialisés pour en faire des places pour familles et même des plages artificielles. En août 2008, bien avant la mise en service du barrage, l’ancien wali de Bouira, Ali Biouguerra, avait demandé à la conservation des forêts de lui présenter un avant-projet d’aménagement pour le faire inscrire en étude.

La Conservation des forêts, en concertation avec la direction du Parc du Djurdjura, a fait une esquisse d’aménagement qui porte sur l’exploitation de certains atouts géomorphologiques, de quelques bosquets particuliers situés dans des endroits spécifiques et de certains autres éléments (sentiers, belvédères, buttes,…) qu’il importe de d’aménager afin d’y installer une ambiance de détente, de récréation et de convivialité. Évidemment, en plus de ces éléments naturels qu’il y a lieu d’orienter dans le sens de l’attraction touristique pour les familles, d’autres secteurs sont censés compléter cette vision d’aménagement, à l’image de la direction des Ressources en eau, du Tourisme et de l’Artisanat, de la Jeunesse et des Sports,…etc.

Une esquisse et des attentes

L’avant-projet d’une esquisse d’aménagement présenté en août 2008 par la Conservation des forêts au wali de Bouira comportait un préambule (le contexte géographique et naturel de l’ouvrage), des propositions de zoning et une démarché méthodologique. Le premier volet fait ressortir le cadre géographique et l’importance esthétique du barrage.

En effet, le barrage hydraulique de Tilesdit est construit sur le cours de l’Oued D’hous, représentant un affluent de la haute Soummam. Son plan d’eau s’étend sur les territoires des communes d’El Asnam, Bechloul et Haïzer.  La capacité de rétention du barrage est de 167 millions de M3. La provenance de ses eaux couvre le nord et le sud de la wilaya, à savoir le bassin versant de l’Oued Lakhal ayant pour point de départ Djebel Dirah, et le versant sud du Djurdjura allant de Tizi n’Djaboub jusqu’à la limite de Oued Baghbar.

Tout en constituant une réalisation économique majeure pour la wilaya de Bouira, le barrage de Tilesdit n’en apporte moins un surcroît de décor à un paysage naturel qui a toutes les potentialités d’être valorisé dans une perspective de détente, de récréation et de loisirs. Au pied du Djurdjura, cet ouvrage hydraulique, avec son plan d’eau et les futurs aménagements que devrait recevoir sa bande périmétrale, constitue le pendant naturel du site de Tikjda situé sur les hauteurs du barrage.

La synergie que ne manqueront pas d’induire ces deux sites est à même d’insuffler une nouvelle dynamique pour les activités de récréation et de détente pour la frange de la jeunesse qui ne trouve pas encore dans le milieu urbain la réponse à ses besoins en la matière. Une très grande partie du massif est formée pendant l’ère secondaire (le jurassique et le trias), soit depuis environ 140 à 200 millions d’années. Les hauteurs de la zone sont formées de calcaires liasiques (jurassique inférieur), durs et compacts, en bancs fortement redressés.

L’assise inférieure aux abords immédiats du barrage est dolomitique (carbonate de calcium et de magnésium) où l’on enregistre une forte charge en alluvions. Dans la partie supérieure, les calcaires deviennent marneux. L’altitude moyenne de la zone du barrage est d’environ 500 m, tandis que la pluviométrie moyenne annuelle y est de 600 m. Le secteur considéré appartient au semi-aride à hivers frais. Sur les reliefs dominant le plan d’eau, l’étage bioclimatique est le subhumide à été sec.

La température moyenne maximale y est de 36°C au mois d’août ; la température moyenne minimale y est de 2°C en décembre. La bande périmétrale du barrage qui s’étend sur une longueur d’environ 40 km devrait être aménagée pour les activités de détente et de récréation dans le strict respect des paysages et des sites. Une relation intime est censée ainsi s’établir entre les activités et les ouvrages projetés d’une part, et les éléments naturels formant le milieu originel, d’autre part. Le périmètre immédiat, particulièrement sur la rive gauche (commune de Haïzer), est constitué d’oliveraies dont une partie est déjà engloutie sous l’eau.

Le reste de la bande périmétrale est constitué de forêts relevant de deux entités : la forêt domaniale des Azerous, qui se prolonge jusqu’à Touialt (entrée de Tikjda) et la forêt domaniale de Haïzer. C’est une importante pinède qui a subi les ravages des incendies au cours des années 1990. La régénération recolonise les parcelles incendiées ; mais, de larges clairières demeurent encore. En tant que réceptacle des eaux provenant de versants partiellement boisés (pin d’Alep, chêne vert, cèdre de l’Atlas, olivier, figuier), le barrage de Tilesdit bénéficie d’un effet de régulation des eaux qui retardera son envasement.

Il est tout à fait évident que le reste des territoires dénudés pouvant générer des apports importants de matériaux solides vers le lac d’eau devront faire l’objet de fixation par des plantations forestières et fruitières. La faune de la région présente une gamme variée dans laquelle on retrouve, entre autres, le chat sauvage, le canard, l’hyène rayée, la belette et la genette. Le gibier chassé comprend principalement : le lapin, la perdrix, l’étourneau et la grive.

Oser l’innovation

Sur le plan démographique, les trois communes (Haïzer, El Asnam, Bechloul) sur lesquelles s’étale le lac du barrage totalisent quelques 43 000 habitants. Les activités économiques s’y concentrent autour des de l’agriculture et des métiers ruraux.

Le milieu rural dans lequel évolue cette population est grevé de plusieurs facteurs agissant négativement sur le développement général de la région. Le salariat étant limité aux zones urbaines, une partie des populations des bourgades et hameaux habitant sur ces flancs sud du Djurdjura est touchée par l’exode rural (vers les villes de Bouira, Alger,…), et l’autre partie exerce des activités agricoles et d’élevage non encore bien encadrées (soutien de l’Etat, crédits bancaires, prestations vétérinaires,…).

Une grande pression s’exerce sur la forêt en tant qu’espace fourrager, y compris par la remise en cause du processus de régénération, en tant que réservoir ligneux sur lequel sont effectués des délits de coupe et de défrichement, et, enfin, en tant que foncier servant à l’extension illégale de parcelles agricoles. Une grande partie de l’origine des incendies est imputable à cette «stratégie de survie» des populations rurales amenées à agresser le patrimoine forestier.

En outre, le mouvement des populations vers les villes est explicable, en plus de la situation d’insécurité qui a prévalu jusqu’aux dernières années, par la paupérisation de l’arrière-pays montagneux où les métiers traditionnels d’élevage et d’agriculture de subsistance ont atteint leurs limites du fait que ces activités n’étaient pas soutenues de façon à rationaliser l’exploitation des ressources naturelles et à diversifier les créneaux d’investissement. La nouvelle vision touristique basée sur l’élément hydrique est soutenue par quelques idées-clefs, à savoir, la faiblesse de moyens et des infrastructures de récréation et de détente dans la wilaya de Bouira; un déficit criard ressenti par les habitants de la wilaya, et particulièrement sa frange juvénile.

Ce déficit trouve surtout son terrain d’expression dans l’arrière-pays rural. De même, le projet d’aménagement du site de Tilesdit participe de cet effort tendant à réhabiliter les milieux naturels par le renforcement de la relation écotourisme/développement durable. Il s’agit, également d’accroître le nombre de sites d’attrait touristique du territoire de la wilaya et d’en diversifier les vocations et les missions. Cette diversification de la gamme des produits de détente et de récréation fait inévitablement appel à la collaboration entre tous les secteurs d’activité et, ce, à toutes les étapes du projet, depuis la conception jusqu’à l’exploitation des structures créées en passant par la mission de suivi des études et des réalisations.

À la clef, il est attendu d’une telle innovation d’ériger cet ouvrage hydraulique en site intégré favorable aux activités de sensibilisation et de l’éducation à l’environnement. Il pourra jouer le rôle de carrefour de brassage des valeurs culturelles de l’authenticité avec les données les plus modernes de promotion esthétique et du développement durable. Il est aussi attendu que le site de Tilesdit constitue une zone d’intérêt scientifique pour plusieurs disciplines relevant de la biogéographie, de la botanique, de la connaissance des milieux aquatiques et de la micro-climatologie.

A.N.M.

Partager