Comment réhabiliter les bureaux d’études algériens ?

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On a eu le loisir, à différentes occasions, de constater le désarroi des autorités politiques et des gestionnaires des différents secteurs d’activités, face aux lacunes et déficits des études grevant de leur poids les projets d’infrastructures et d’équipements publics.

Par Amar Naït Messaoud

Ministres, walis et autres responsables ont eu à déplorer la mauvaise qualité de certains ouvrages qui revêtent une dimension stratégique. Il est évident que ce sont d’abord les usagers qui ‘’osent’’ se plaindre des défectuosités et dysfonctionnements qui touchent des réseaux d’eau potable, des logements collectifs récemment réceptionnés ou des infrastructure de grande desserte à l’image des routes et autoroutes. L’exemple le plus prégnant au cours de ces deux dernières années est inexorablement le tronçon d’autoroute Est-Ouest situé entre Bouira et Lakhdaria. Aucun autre ouvrage ne peut sans doute mieux illustrer la défaillance dont souffrent les projets d’investissements publics pour lesquels sont consentis plus de 500 milliards de dollars depuis 1999. Tous les bricolages et sempiternelles réfections touchant les trottoirs des villes algériennes paraissent du ‘’menu fretin’’ par rapport au scandale que traîne la qualité des travaux de l’autoroute sur ce tronçon de près de 40 km. En visitant, le 13 octobre dernier, les chantiers de l’opération de ‘’mise à niveau’’ de l’autoroute, le nouveau ministre des Travaux publics, Farouk Chiali a déclaré que ‘’les lenteurs dans la cadence des travaux sont inacceptables, d’autant plus que les projets en question revêtent un caractère vital« (voir notre édition du 14 octobre). Sur place, un cadre de l’Agence nationale des autoroutes (ANA) a expliqué que de nombreuses carences ont truffé le volet des études techniques. Il se trouve que même dans cette phase de cette ‘’mise à niveau’’, un euphémisme par lequel on essaye de traiter toutes les malfaçons et les incidents techniques subséquents, les réparations touchant le grave affaissement de Oued R’Kham ont tardé à être conçues techniquement. La typologie d’intervention à réserver à l’affaissement  a mis beaucoup de temps pour être adoptée par les techniciens.

Lorsque les réévaluations se traduisent en surcoûts

L’exemple de l’autoroute, même s’il demeure le plus visible pour le large public et les utilisateurs, est loin d’être unique quant au déficit ou à la faiblesse des études techniques dans notre pays. Le ministre des Finances, Karim Djoudi, a été déjà fortement interpellé au cours d’une séance de questions orales devant les députés de l’APN sur le phénomène des récurrentes réévaluations dont font l’objet la majeure partie des projets. On fit observer, à l’occasion, qu’une telle conduite des projets charrie indiscutablement des surcoûts que supporte le budget de l’État. Dans ses réponses, le ministre a tenté de justifier cette anomalie des réévaluations par plusieurs facteurs, dont le plus important est la non-maturation des études techniques. Les différents maîtres d’ouvrage, au niveau central et local, ont une parfaite connaissance des  glissements successifs des coûts de réalisation suite aux opérations de réévaluation des projets. Les origines d’une telle dérive peuvent être, par exemple, la délocalisation de certains projets suite à diverses oppositions venant des riverains,  le changement de tracé de certains réseaux (AEP, gaz naturel, énergie électrique, réseau d’assainissement, routes et autoroutes, pistes,…)

En 2007 déjà Abdelhak Lamiri, professeur en management, soutenait que  «lorsque le gouvernement algérien met 100 milliards de dollars dans l’économie, 75 milliards vont à l’étranger. C’est pourquoi il aurait fallu créer des entreprises à même de bâtir une base économique pour absorber au moins la demande intérieure et pour que les autres peuples ne bénéficient pas de nos ressources d’une manière gratuite».

Pour les mêmes motifs. Ce sont là des risques auxquels s’exposent les projets publics portant sur les infrastructures et équipements dans une situation sociale particulière où l’on a affaire à la montée en puissance d’une certaine ‘’rébellion’’ sociale et à la difficulté de faire valoir l’autorité de l’État. Cependant, la non-maturation des études a été un problème plus ou moins occulté ou sous-estimé auparavant, jusqu’à ce que les pouvoirs publics en charge du budget de l’État commençaient à s’inquiéter des propositions de réévaluation émanant de divers maîtres d’ouvrage, ce qui, non seulement grève le budget de l’État de nouvelles dépenses publiques, mais également remet en cause le concept même de la planification telle qu’elle est portée par les trois plans quinquennaux mis en œuvre depuis l’année 2000. L’on sait que tout projet d’infrastructure ou d’équipement public doit obligatoirement, en vertu de la loi, subir une phase d’études qui passe par trois étapes successives: étude de faisabilité études d’impact environnemental et étude d’exécution. Cette dernière- avec son plan d’architecture, sa partie génie civil et son plan des voies et réseaux divers (VRD)-, est remise à l’entreprise de réalisation retenue par la procédure d’appel d’offre pour lui servir de base dans la réalisation de l’ouvrage. Le suivi sur le terrain est assuré soit par le bureau d’études qui a produit l’étude d’exécution, soit par un autre partenaire choisi par le maître de l’ouvrage. Cette démarche réglementaire est suivie dans ses formes; mais du point de vue du contenu, elle est, dans plusieurs cas, sujette à caution. En effet, la validité technique des études a été plusieurs fois remise en cause. Une fois le projet lancé sur le terrain, des obstacles et des incohérences commencent à surgir. Ils sont d’une telle ampleur que, parfois, des études complémentaires sont sollicitées, entraînant de nouvelles dépenses d’études et des surcoûts en matière de réalisation.

Les bureaux d’études algériens «broient du noir’’

Il y a lieu de signaler qu’une grande partie des études commandées dans le cadre des plans d’investissements publics ont été réalisées par des bureaux d’études étrangers spécialisés en travaux publics, hydraulique,…etc. Cependant, ces études ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Le président de la République a eu à transmettre une directive au gouvernement en décembre 2009 pour limiter au maximum le recours aux bureaux d’études étrangers. Cette directive fait état d’»études virtuelle ou fictives qui font l’objet d’un commerce auprès d’opérateurs nationaux. Ces derniers, mal informés, paient le prix fort en devises pour ces études«. Pour le chapitre des prestations en «études, expertise et consulting» importées de l’étranger, l’Algérie a payé au cours de ces dernières années une facture moyenne de 12 milliards de dollars par an. Cependant, pour se redéployer sur les bureaux d’études algériens, l’entreprise n’est pas de tout repos. En effet, l’outil national d’études et expertise a subi une véritable hémorragie dans sa ressource humaine au cours des années 1990, à l’instar des autres entreprises publiques économiques. La déstructuration du tissu de bureaux d’études nationaux, spécialisés dans tous les domaines des activités techniques et éconoàmiques, a entraîné la fuite des cadres vers l’étranger ou vers…la retraite anticipée. Le peu d’anciens cadres qui ont tenté de se constituer en bureaux d’études  privés à partir de l’année 2000 ont été «court-circuités» par l’arrivée intempestive de bureaux de consulting et d’expertise étrangers, permise par les appels d’offres internationaux anarchiques lancés au début des plans quinquennaux. En 2007 déjà Abdelhak Lamiri, professeur en management, soutenait que  «lorsque le gouvernement algérien met 100 milliards de dollars dans l’économie, 75 milliards vont à l’étranger. C’est pourquoi il aurait fallu créer des entreprises à même de bâtir une base économique pour absorber au moins la demande intérieure et pour que les autres peuples ne bénéficient pas de nos ressources d’une manière gratuite ». Ce constat est valable aussi bien pour le volet réalisation que pour celui des études et expertise. La directive du président de la République invitant à un recours intelligent à l’outil d’études national a imparablement besoin d’être soutenue par un travail de fond orienté vers la réhabilitation des bureaux d’études algériens dans tous les domaines d’intervention: études techniques, expertises, consulting,…etc. Ce travail de réhabilitation est censé se déployer aussi bien sur le volet de la formation que sur les volets de l’organisation et de l’accès aux nouveaux outils scientifiques portés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

A. N. M.

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