La soif de l’érudition

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S’il est un auteur qui incarne avec la plus grande énergie, l’esprit enthousiaste de la littérature française de la Renaissance, c’est bien François Rabelais, assoiffé de savoir d’une curiosité universelle, il est parvenu grâce à son ardeur encyclopédique à acquérir toute la culture philologique de son époque. Il n’a pas tort celui qui a dit de lui qu’il est “le très profond abîme de l’encyclopédie”.Qu’il n’ait ni le sens de la mesure, ni le sentiment classique de l’art, n’enlève en rien à la valeur romanesque de ses écrits et à son humanisme vigoureux. Né en 1494, Rabelais a été successivement franciscain, bénédictin, docteur en médecine, curé et romancier. Il initie, dans l’élan novateur qui caractérisera la littérature de la Renaissance une œuvre parodique qui, sous des aspects bouffons et truculents, propose une morale bien charpentée, aussi charpentés que les géants qui peuplent ses livres. Mais cette morale, cette philosophie de la vie, ne sont accessibles qu’au seul lecteur initiée, au lecteur qui sache “rompre l’os et sucer la substantifique mœlle”. L’indifférentisme et la gaiété de vivre, voilà les deux pieds sur lesquels repose le socle philosophique de la pierre rabelaisienne. Ne pas se tourmenter, ne pas se scandaliser, ne pas se tracasser pour aucun résultat, prendre du bon temps, s’amuser sans modération, boire et rire et surtout se cultiver sans retenue. Telles semblent être “la substantifique moëlle “qui se cache derrière les aventures bouffonnes de Gargantua et de Pantagruel. C’est en cinq livres, de 1532 à 1946 qu’il publia “les vies de Gargantua et de Pantagruel”. C’est dans l’ensemble une épopée plaisante pleine de détails comiques et de dissertation érudites comme “le rire est le propre de l’homme”, Rabelais veut éduquer en amusant Gigantisme, prouesses lexicales, narrations burlesques.. tous les procédés comiques en cours dans son époque, ont été mobilisés pour donner à son œuvre un cachet original. La plaisanterie au service d’un projet éducatif sinon politique, tel peut être le résumé de l’art romanesque de Rabelais. La Sorbonne qui veille à “La bonne moralité” des Français, va rapidement condamner les ouvrages de Rabelais qu’elle accuse de propager de nouvelles idées en contradiction avec l’esprit de l’époque. Cette condamnation qui, sans nuire à l’auteur, car possédant de puissants soutiens, va l’inciter cependant à l’autocisme. Car dans l’effervescence artistique est morale de son époque, Rabelais s’est autorisé à s’attaquer à tout le monde et voulait révolutionner la vision du monde en usage chez ses contemporains. Les théologiens de la Sorbonne, les gens de justice, les moines, les gens de guerre, les hérétiques… n’ont pas été épargnés, quand ils n’ont pas été bafoués. En pédagogie, il descend en flammes l’éducation scholastique qu’il considère comme dogmatique et sclérosée et propose une éducation plus souple, “plus moderne” sommes-nous tentés de dire, qui encourage l’érudition et l’exercice physique. Rabelais, malgré que sa tête soit bien pleine, il n’en demeure pas moins qu’elle est également bien faite. Il propose une morale, une éducation à la portée de tous, pas seulement pour des géants. L’œuvre de Rabelais, malgré, son côté énigmatique, garde toute la verve et la fraîcheur du premier temps de la Renaissance.“Les personnes de bon sens ne regarderont point un ouvrage de cette nature, comme un ouvrage inutile. Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent rendre à mon avis, un service considérable que de s’instruire en s’amusant… L’ouvrage entier est un traité de morale, réduit agréablement en exercice”. Ces mots de l’abbé Prévost, s’appliquent admirablement aux ouvrages de Rabelais. Il meurt en 1553, en laissant l’humanisme conquérant faire peu à peu le nid au classisime.

Boualem B.

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