C’est un livre d’une rare facture intellectuelle qui ne sacrifie rien à l’esthétique que vient de signer l’écrivain Yasmina Khadra. « Les anges meurent de nos blessures », c’est son titre et il est apparu, il y a un mois, aux éditions Julliard. L’ouvrage compulsé sur 403 pages, est un récit ciselé avec la passion d’orfèvre et où plusieurs histoires se superposent, s’entrechoquent et s’enchevêtrent, pour donner corps à une saga romanesque poignante et troublante à la fois. Rédigé dans un style dépouillé les textes coulent de source pour cheminer dans un régime laminaire, entraînant le lecteur dans les boyaux de la vie trépidante et tourmentée de Turambo. Turambo ? C’est le héros principal du roman, dont le village natal éponyme a été enseveli à jamais sous terre, consécutivement à un glissement de terrain. Turambo égrène ses années d’enfance dans un quartier lépreux de la périphérie de la ville d’Oran. Une tranche de vie faite de dénuement, de misère et de privations en tous genres. Malmené par le sort, Turambo se résous à une longue traversée du désert. Pour gagner sa pitance, il enchaîne pis-aller et expédients. Seul cadeau de la providence, il est affublé d’une carrure d’athlète. Mais il n’est pas dit que cette vie de damné lui collera aux basques jusqu’à la fin de ses jours. En effet, par un heureux concours de circonstances, le destin fait brusquement volte-face. Turambo se fait enrôler par Bébert, un garagiste, contre une rémunération correcte. Un jour, une dispute l’oppose à un client pour une histoire de tache sur la banquette arrière de son véhicule. Turambo se précipite pour tenter de réparer l’impair mais essuie un chapelet de jurons qui le font sortir de ses gonds : « Mes coups de chiffon ne firent qu’étaler davantage le cambouis sur le cuir. Horrifié par ma maladresse, le client poussa un juron féroce et relâchant Gino, il me flanqua une torgnole qui me fit pivoter sur moi-même… Mon bras décrivit un crochet fulgurant et le client s’effondra comme un château de cartes ». Son forfait accompli, notre héros prend ses jambes à ses pieds pour aller se calfeutrer chez lui. À sa grande surprise, il reçoit, non pas la visite de la police qu’il croyait à ses trousses, mais le propriétaire d’une écurie professionnelle de boxe. Ce dernier lui proposa rien de moins que de l’engager comme boxeur, en l’informant au passage que le client qu’il venait d’envoyer au tapis n’était autre que le champion d’Afrique du Nord de boxe. Cette carrière de pugiliste ouvre à Turambo les portes de l’ascension sociale et le hisse à l’apogée de la gloire. De s’être laissé quelque peu grisé par cette réussite inespérée, Turambo commet un beau jour l’irréparable, en envoyant ad patres un officier médaillé de la grande guerre. Il est condamné au bagne…
N. Maouche