Le chanteur Idir est aussi agréable à écouter parler que chanter. Il a l’art de placer ses octaves, autant qu’il prend un soin particulier à choisir ses mots.
Et c’est avec cette perspicacité qu’il est venu, hier, au Forum du quotidien Liberté répondre aux questions des journalistes, venus nombreux, trop nombreux même pour une salle conçue pour des personnalités de moindre importance. Idir, l’auteur de la célèbre Vava Inouva, qui lui a fait connaitre l’universalité était très à l’aise face aux représentants des médias. En compagnie de Mohamed Saadi, PDG de BRTV, il a répondu à toutes les questions jugées sensibles par certains et inévitables par ceux qui considèrent qu’on n’a pas tous les jours l’occasion de rencontrer l’enfant des Ath Yenni. «La culture comme fondement d’une nation », était le thème choisi pour cette rencontre animée par Ahmed Lahri, qui a permis à l’assistance de connaitre l’avis du conférencier, qui a grandement approuvé ce postulat : «C’est toujours le culturel qui est le fondement d’une nation». Et d’aller dans un réquisitoire pour situer l’origine de sa prise de conscience. «J’appartiens à une région où le sang a coulé pour l’indépendance du pays. J’ai connu, tout môme, les bombardements, les soldats français venus au village faire la razzia et faire usage de leurs armes. A 17 ans, j’étais fier d’appartenir à cette nation qui recevait sur ses terres Che-Guevara, Tito… et j’éprouvais une certaine grandiloquence de savourer le fait que l’Algérie était la Mecque des révolutionnaires, comme on la surnommait à l’époque», a indiqué Idir dans une salle baignée dans un silence de cathédrale. Et d’ajouter : «Mais, je ne me sentais pas algérien à part entière, pour le motif que je trouvais, à l’époque, bizarre d’être partie prenante de ce pays et de ne pas voir ma langue maternelle instituée officiellement». Et c’est là a fait savoir Idir, que «je me suis mis à chanter, même si je n’étais vraiment pas prédisposé à la chanson. C’est juste un concours de circonstance qui y a été à l’origine. Nouara devait se produire à l’auditorium de la radio, et comme elle ne s’était pas présentée pour des raisons de santé on a fait appel à moi pour la suppléer, et c’est ainsi que ma carrière de chanteur a commencé», a-t-il fait savoir.
«Quand je n’ai rien à dire, je me tais !»
Idir ne peut être considéré comme un chanteur prolifique. Et c’est à cette énigme qu’il a eu à répondre. « En effet, je ne produis pas beaucoup de CD, pour la simple raison que quand je n’ai rien à dire je préfère me taire », a-t-il sèchement répondu à une question dans ce sens. Et pour mieux faire valoir ses arguments, Idir a explicité cela en disant : «Si mes chansons ont un succès, c’est parce qu’elles sont tirées du terroir».Toutefois, il a tenu à rassurer : «Je n’ai pas abandonné le terrain. D’ailleurs, je vous apprends que je suis sur un CD qui paraitra bientôt, où tous les parlers du Maghreb et d’Egypte seront mis en valeur». Toujours à propos de la scène algérienne qu’il ne fréquente pas beaucoup, à l’inverse des pays voisins comme le Maroc avec ses différents festivals et la Tunisie, Idir a été catégorique : «Ici les choses ne marchent pas convenablement. Souvent, pour des raisons techniques, il devient presque impossible d’organiser un gala en rapport avec la notoriété du chanteur». En un mot, Idir situe le problème au niveau des organisateurs qui manquent de professionnalisme. Et d’ajouter : «Mais bon sang, pourquoi politiser une soirée artistique en lui enjoignant les fameux Sous l’égide de son excellence ou Sous le haut patronage de tel ou tel ?». Pour Idir, «dès qu’on s’obstine à politiser l’art, les choses ne marchent pas comme on le veut ».
«Si je venais à devenir Président…»
Justement, à propos de cet état de fait, une question lui a été posée crûment, sur sa présence aux côtés de Zinedine Zidane lors sa venue en Algérie en 2006, répondant à une invitation du Président Bouteflika. Ce à quoi, l’auteur de Vava Inouva a rétorqué : «J’étais l’invité de Zidane, pas des autorités algériennes. J’ai accepté de monter dans l’avion qui ramenait Zidane et ses parents en Algérie, suite à une invitation de ce dernier qui avait tenu à ce que je les accompagne, voilà tout !». Très attendu pour connaitre sa position vis à vis de l’officialisation de Tamazight, le chanteur kabyle le plus connu dans le monde a préféré donner des précisions, pour éclairer certaines lanternes. «Je ne revendique pas mon amazighité je suis Amazigh !», a fait savoir Idir qui a ajouté qu’il ne suffit pas de décréter l’officialisation d’une langue sans lui donner les moyens de s’émanciper». L’homme semblait très à l’aise en exposant ses positions par rapport à la langue, en témoigne ses réponses bien ciselées et ne laissant aucun doute sur sa détermination à être juste ce qu’il est, c’est à dire un Kabyle et un «ardent défenseur de la culture berbère». Il a eu cette réplique géniale, en réponse à un confrère qui tenait à lui coller le qualificatif «discret». «On peut élever sa voix sans hausser le ton», lui a-t-il répondu, provoquant une admiration sans pareil dans la salle. A la question très attendue sur sa position vis à vis de l’autonomie de la Kabylie, combat prôné et mené par le MAK, Idir a été catégorique : «Ferhat Mehenni est un militant de la première heure, il a fait de la prison pour ses idées, il a chanté sa culture. C’est dire que c’est un homme respectable qui mérite qu’on l’écoute et qu’on décide après. Mais quand il est interdit de séjour par les autorités, comment voulez-vous qu’on sache ce qu’il veut. Ferhat a des idées novatrices, il faut l’écouter. Maintenant, pour ce qui est de son projet d’autonomie de la Kabylie, je crois qu’il faut bien étudier cette proposition, questionner les spécialistes. Vous savez, quand je me trouve à l’étranger, en Tunisie ou au Maroc, et que j’aperçois des fans avec des drapeaux marqués de la lettre Z amazighe, il m’est difficile de dire que je ne suis que kabyle». Le message est clair, Idir voit l’amazighité en grand. Il refuse de se confiner entre les limites de la Kabylie. En revanche, l’indépendance de la Kabylie est un concept plus logique pour Idir, qui considère néanmoins qu’une telle possibilité ne devrait pas être décrétée, mais surtout bien étudiée par ceux qui ont une notoriété dans le domaine. Enfin, à la question de savoir ce qu’il ferait en premier s’il devenait président de la République, Idir, avec un humour bien de chez nous, a indiqué : «Faire du couscous un plat national !».
Ferhat Zafane