«Je suis un démocrate convaincu»

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Le ministre algérien affirme qu’il est urgent de favoriser l’entrepreneuriat privé dans le pays.

Depuis que vous en avez pris les rênes, le 11 septembre, votre ministère a été rebaptisé. Pourquoi son intitulé n’inclut-il plus le développement des PME ?

Amara Benyounès : Le titre a changé mais les PME-PMI font toujours partie des attributions de ce portefeuille. Avec le dernier remaniement ministériel, le président de la République a voulu placer au coeur du projet économique du pays l’agriculture et le développement industriel, où certaines actions majeures doivent être engagées d’urgence.

Lesquelles ?

Nous devons avant tout améliorer le climat des affaires, éliminer les nombreuses lourdeurs bureaucratiques. L’administration reste trop présente dans le fonctionnement de l’économie. Nous essayons de dépoussiérer et d’alléger certaines démarches afin de faciliter les créations d’entreprises, ainsi que les relations des entrepreneurs avec l’administration, le fisc, les douanes, etc. Les effets positifs de ces mesures devraient se faire sentir dans les prochains mois. Nous ne faisons plus de différence entre le secteur public et le secteur privé. Pendant des années, l’Algérie a été une économie socialiste et administrée, où les entreprises publiques étaient hégémoniques. Désormais, ce qui nous intéresse c’est l’entreprise algérienne, sans aucune distinction, en tant que créatrice d’emplois et de richesse. C’est par elle que l’on pourra résorber le chômage des jeunes.

Quels sont vos principaux objectifs ?

Notre stratégie fondamentale est de réindustrialiser l’Algérie. Il n’y a pas de pays développé à travers le monde qui n’ait une industrie solide, c’est la base même du développement économique. Au cours des années 1970, nous avons connu une ère industrielle, que nous avons perdue durant les années 1980 et qui s’est effondrée davantage encore pendant la triste décennie 1990. Aujourd’hui, notre principal objectif consiste à mettre en place une politique de substitution aux importations, tout en menant une politique d’exportation. Pour qu’un produit algérien soit compétitif dans notre pays, il doit l’être également à l’international. Notre population s’est alignée sur les modes de consommation de la planète. L’économie s’est mondialisée. Nos produits doivent donc pouvoir concurrencer les produits importés.

Comment augmenter le poids de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) alors qu’il n’a pas cessé de diminuer ces dernières années ?

L’industrie représente aujourd’hui 5 % du PIB, contre 12 % à 15 % il y a quarante ans. Pour inverser la tendance, il n’y a pas de recette miracle : nous devons favoriser la création de sociétés industrielles et accompagner les entrepreneurs dans cette voie. Quand nous avons libéralisé le secteur du commerce extérieur, de nombreux Algériens ont fait fortune dans ce domaine. C’est également possible dans l’industrie. Nous sommes d’ailleurs en train d’organiser dans plusieurs régions des séminaires consacrés à l’investissement afin de convaincre les entrepreneurs d’investir dans l’industrie. En Algérie, nous disposons d’environ 600 000 PME-PMI. Or, par rapport à la moyenne mondiale et à notre population, nous devrions en compter 1,6 million… Par des mesures incitatives, nous devons pousser les Algériens à créer des entreprises, à développer une culture entrepreneuriale. Par exemple, pour accompagner les jeunes patrons et les créateurs d’entreprises dans leurs premiers pas, nous sommes en train d’installer des centres de facilitation et des pépinières dans l’ensemble des wilayas [préfectures].

Que compte faire le gouvernement face au manque de disponibilité du foncier pour les entreprises industrielles et à la difficulté d’accéder au crédit bancaire ?

Le foncier est l’un de nos principaux problèmes. Dans les semaines à venir, nous allons lancer la construction de 49 nouveaux parcs industriels, qui représenteront 12 000 ha supplémentaires, répartis sur tout le territoire, comme par exemple à Boumerdès, à 50 km à l’est d’Alger, où une zone de 1 300 ha verra le jour. Cela donnera un souffle nouveau à l’industrie et une bouffée d’oxygène aux entrepreneurs. Quant à l’obtention de crédits bancaires, les banques sont en effet devenues trop prudentes. Le Premier ministre a donné des instructions pour qu’elles jouent leur rôle dans le financement de l’économie.

Allez-vous associer des opérateurs privés ou étrangers pour relancer les sites industriels publics qui tournent au ralenti ?

Le président et le Premier ministre l’ont répété à maintes reprises : l’État ne peut pas tout faire, par exemple redresser l’ensemble des sociétés publiques qui ont connu des difficultés. C’est pourquoi nous privilégions les partenariats privés, algériens ou étrangers. Nous sommes partie prenante dans tous les accords permettant de sauvegarder des projets industriels et des emplois, ainsi que dans ceux qui permettent d’accroître le transfert de technologie et de savoir-faire. C’est une priorité absolue.

Michelin a fermé son usine pour cesser son activité en Algérie, consentant à Cevital un prix de vente inférieur à celui du marché. Pourquoi avoir fait jouer le droit de préemption dans ce dossier ?

L’État algérien en a le droit lorsque des transactions sont effectuées par des étrangers dans notre pays, mais il utilise très rarement cette prérogative. Moi-même, j’ai récemment signé une quinzaine de renonciations à préempter. Nous préemptons uniquement dans deux cas : quand cela implique la disparition d’une activité industrielle et lorsque le prix de cession du terrain est sous-évalué par rapport à celui du marché. En l’occurrence, les deux conditions étaient donc réunies. Je précise que, dans cette affaire, Michelin est gagnant, car quand nous préemptons, nous ajoutons 10 % au prix de vente initialement conclu.

Et pour Cevital ?

Dans ce dossier, le prix de cession du terrain était clairement inférieur à sa valeur, et le droit de préemption concerne le vendeur, il ne s’exerce pas sur l’acheteur. Je peux vous assurer que l’État algérien n’a strictement aucun problème avec Cevital, bien au contraire.

Début octobre, ArcelorMittal a cédé la majorité du complexe El-Hadjar d’Annaba au groupe public Sider, qui reprend 51 % des parts (au lieu des 30 % qui lui restaient depuis 2001). Peut-on parler de renationalisation ?

Absolument pas. Les deux partenaires, Sider et ArcelorMittal, sont parvenus à la conclusion qu’il fallait procéder à une augmentation de capital et consentir un investissement important. Le pacte d’actionnaires a débouché sur la refonte du capital selon la règle 51/49. L’investissement est de 700 millions de dollars [plus de 500 millions d’euros], auxquels s’ajoute un prêt de 300 millions de dollars pour le fonds de roulement du complexe. L’objectif est qu’il produise 2,2 millions de tonnes d’acier par an d‘ici à 2017, contre 580 000 tonnes en 2012.

Les investissements directs étrangers (IDE) sont tombés de 2,75 milliards de dollars en 2009 à moins de 1,5 milliard en 2012 selon la Cnuced. Quelle est la tendance pour 2013 et 2014 ?

Entre 2012 et 2013, les IDE en Algérie auront été pratiquement multipliés par cinq. Mais ils sont encore insuffisants. Nous devons absolument attirer de grandes multinationales, car elles font office de locomotives et entraînent dans leur sillage des filières de sous-traitance profitables à de nombreuses PME algériennes. Par exemple, sur le projet d’implantation de Renault, près d’Oran, 20 % du terrain accordé au constructeur français est réservé à l’installation de sous-traitants. Par ailleurs, lorsque des grandes entreprises étrangères viennent travailler dans notre pays, elles envoient des signaux positifs pour que d’autres suivent. Cela contribue à accroître le nombre de nos entreprises et à étoffer notre tissu industriel.

L’État envisage-t-il de permettre aux Algériens d’investir à l’étranger ?

La loi algérienne ne le permet pas, et ce n’est pas à l’ordre du jour.

Quel est l’état de santé du président Bouteflika ?

La dernière fois que l’ai vu, fin septembre, il a dirigé le Conseil des ministres pendant deux heures trente et nous a donné ses instructions. Je l’ai dit et le répète : le chef de l’État ne préside pas l’Algérie avec ses pieds, mais avec sa tête.

Le soutiendrez-vous s’il se porte candidat à un quatrième mandat ? Pourquoi tarde-t-il tant à s’exprimer sur le sujet ?

J’ai été le premier homme politique algérien à dire que si le président Bouteflika se déclare candidat, le MPA le soutiendra sans condition. C’est notre position depuis de nombreux mois. Si nous sommes au gouvernement, c’est que nous sommes d’accord avec le chef de l’État. Mais c’est à lui d’annoncer ce qu’il fera, au moment voulu. C’est un choix personnel qui lui revient, et à lui seul. Par ailleurs, jusqu’à présent, peu de candidats potentiels ont annoncé leur décision de se lancer dans la course.

Et si Abdelaziz Bouteflika renonce à se porter candidat ?

Dans ce cas, ce sera aux instances du parti d’aviser : soit nous présenterons un candidat MPA, soit nous discuterons avec d’autres partis pour désigner quelqu’un.

Qu’en est-il de la possible révision de la Constitution ?

Je n’ai aucune information à ce sujet. Selon l’analyse de notre parti et au vu des échéances qui approchent, nous pensons qu’elle aura probablement lieu après l’élection d’avril 2014.

Quelles sont vos ambitions personnelles et celles de votre parti ?

Aujourd’hui, nous sommes numéro trois, et l’ambition logique d’un parti politique est de devenir le numéro un, afin d’appliquer son programme. Mes ambitions personnelles, elles, s’inscrivent dans celles de mon parti. L’ambition du chef ne doit pas prendre le pas sur celle de sa formation politique. Ma mission est de faire du MPA la première force politique du pays. Si les élections législatives se déroulent en 2017 comme prévu, notre objectif sera de progresser ou, du moins, de nous maintenir.

Et que pensez-vous de l’opposition ?

Franchement, ce que je vais vous dire me fait mal au coeur mais je le pense très sincèrement. Je suis un démocrate convaincu, donc je crois fermement à la nécessité d’avoir une opposition forte. Si un pays n’en a pas, il est condamné sur le plan politique. Chaque pouvoir doit avoir son contre-pouvoir. Or, en Algérie, force est de constater que nous avons des opposants, mais pas une véritable opposition.

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