A la provocation de la France parlementaire, l’Algérie a répondu par la maturité. Certes, il y a eu des réactions plus ou moins officielles de nos dirigeants et de quelques politiques et intellectuels, réactions courroucées face à des nostalgériques qui ont tenté de laver leur défaite — pour nous victoire libératrice — dans la revanche sur le manuel scolaire. Mais cette levée de boucliers, quelque peu timide, ne pouvait qu’en rester à ce stade des professions de foi et du rappel d’évidences. Toute pression ou forcing d’opinion aurait été tenu pour une ingérence dans les affaires internes des Français et de leur façon de concevoir et d’assumer l’histoire de leur nation, dont par ailleurs, le qualifiant de grandeur n’a jamais été usurpé. S’ils veulent, contre la vérité de l’Histoire, considérer que leurs aïeux colonisateurs, au lieu d’avoir spolié, par la violence et le massacre, la population d’un autre pays, ont fait montre de bienfaisance, de charité, de mansuétude et d’œuvre civilisatrice, grand bien leur fasse. Face au monde qui regarde ce pitoyable jeu de remue-mémoire à rebours, ce sont eux qui se ridiculisent, et pas nous. Plus les députés de l’UMP mentent sur » le rôle positif de la colonisation « , plus ils facilitent la tâche des anciens colonisés de dire la vérité, que ce soit sur le pillage des richesses, sur la tentative d’aliénation culturelle ou, pire, sur les exactions » civilisatrices » comme les camps de concentration photocopiés sur les nazis ou sur la torture inspirée des mêmes maîtres ès cruauté. Mais cette intuition que la teneur franco-française de la loi du 23 février passé allait l’éclabousser de l’intérieur, a fini par se réaliser et la patience pour que triomphe une justice immanente a fini par payer. D’abord, les bons vieux Dom-Tom, piqués au vif, ont opposé une fin de non-recevoir, au sens propre de la formule, à Sarkozy, lui épargnant ainsi un voyage qui lui aurait appris, à ses dépens, que, fût-on ministre de l’Intérieur, on ne se promène pas impunément dans la gueule du loup. Même le patriarche poétique Aimé Césaire, serviteur zélé qu’on ne peut soupçonner de sympathie envers la tentation indépendantiste, a osé jurer qu’il ne serrerait pas la main de Sarkozy, qui rangea aux oubliettes ses velleités de visite. Toutefois, il fera montre de sa coutumière intransigeance en s’élevant contre » la culture de la repentance « , oubliant que la même répartie aurait pu lui être renvoyée en 1986 par les Allemands au moment de la demande de grand pardon.Le lendemain, de Villepin, interpellé à la radio sur cette question qui commence décidément à faire plus de tempêtes que les petites vagues prévues, renvoie les députés à leurs chasses gardées constitutionnelles en déclarant que ce n’est pas à l’Assemblée nationale d’écrire l’Histoire. Et pan sur le bec de l’UMP et de son chef présidentiable qui joue sur le registre chauvin et nostalgique en lorgnant vers l’électorat d’extrême-droite. Et le Premier ministre de renchérir le lendemain, pour recoudre les tissus effilochés par son ministre de l’Intérieur, en appelant à » l’apaisement des esprits « . Pour sa part, hier, Chirac, autoconvoqué par la République pour célébrer son socle fondateur, la loi sur la laïcité de 1905, a usé de son pouvoir régalien en demandant au président de l’assemblée, Debré, de constituer une commission sur l’Histoire et le Parlement, abrogeant de fait la loi scélérate du 23 février. Ce texte est source de discorde, et risque d’être creuset de division irréversible entre métropole et colonies appelées Territoires d’outre-mer. Chirac a flairé le risque, et entre vexer Sarkozy en lui rabaissant le caquet d’une part, et l’unité française, même disséminée à travers les océans, de l’autre, le choix est vite fait. L’Algérie, société civile et Etat, a fait montre d’une grande maturité en évitant de s’ébrouer dans le cloaque où ont tenté de l’attirer les initiateurs d’une provocation empaquetée dans la solennité parlementaire, et ainsi compromettre dans l’œuf le traité d’amitié qui pointe à l’horizon du bénéfice partagé. Conçue pour être une solution franco-française, cette loi a vite fait de devenir un problème franco-français. Quand une loi enfle, la révolte gronde. Interpellée, la pesanteur présidentielle suffira-t-elle à désamorcer cette bombe à retardement ? Pas d’immixtion dans le rétroviseur du « temps béni des colonies », ni d’ingérence dans les problèmes intérieurs des descendants de « nos ancêtres les Gaulois »…
Nadjib Stambouli