Par Amar Naït Messaoud
Les mois et les semaines qui nous séparent du rendez-vous électoral du 17 avril 2014 vont continuer à nous faire voir toutes sortes de positionnements, de gesticulations et de grenouillages qui peinent à constituer une conduite logique, rassérénée et civilisée. Une cinquantaine de personnes ont retiré les imprimés nécessaires à la déclaration de candidature au poste de président de la République. Et quel que soit le sort qui sera réservé à ces intentions de candidature, ces candidats ne se lasseront pas de participer à la banalisation de l’action politique dans notre pays. Dans la plus grande démocratie du monde, la compétition se réduit à un duel après les primaires qui s’opèrent au sein même des partis politiques. Sous ces latitudes-là l’accumulation de la culture politique et des pratiques démocratiques ont abouti à l’agrégation des courants et forces idéologiques qui traversent la société dans deux ou trois grandes mouvances qui finissent par s’imposer comme des références où se retrouve l’ensemble des citoyens d’un pays. L’étalement aussi étiré du spectre politique algérien reflète-t-il une aussi “riche” diversité politique et idéologique du pays? Donne-t-il une idée suffisamment vraie des enjeux réels, politiques, économiques et culturels, au sein de la société algérienne? Ou bien contribue-t-il plutôt à mieux reléguer ces mêmes enjeux au profit de la multiplication de clientèles et d’égocentrismes hypertrophiés? Sans aucun doute, une grande partie des destins individuels qui se proposent de conduire le destin national sont venus pour travailler à bonifier leur petite personne, “défrayer la chronique” pendant quelques semaines, se rapprocher du mieux qu’ils peuvent des sources de la rente, quitte à se faire oublier pendant au moins cinq ans. Sinon, comment interpréter des annonces publicitaires que des candidats à la candidature ont commencé à insérer dans la presse bien avant la convocation du corps électoral? La publicité porte sur la sollicitation de comités de soutiens dans les wilayas et les daïras d’Algérie. Il y a même un candidat qui agit de la sorte pour la quatrième fois depuis le milieu des années 1990. Autant le scrutin présidentiel a intéressé les Algériens au plus haut point depuis, au moins, les élections législatives de mai 2012, autant la prolifération fantaisiste de candidatures de ces dernières semaines leur a donné un certain sentiment d’assister à une mauvaise farce. L’on n’a même pas le loisir d’assister à une ambiance de récréation à la Coluche avec laquelle l’humoriste français a voulu jouer le trouble-fête lors de l’élection présidentielle française de 1981. En Algérie, les luttes de leadership et les intérêts étroits ont non seulement compromis gravement les chances de regroupements politiques par mouvances ou familles idéologiques, mais, pire encore, ces bousculades et chamailleries ont oblitéré les chances de la naissance d’une véritable culture politique au sein de la société. Il n’en demeure pas moins que le constat peut aisément être inversé et l’on se mordra nécessairement la queue. En effet, la cristallisation actuelle de la “classe politique” autour d‘une échéance pour laquelle cette même “classe” se présente en se disséminant, n’est-elle pas le résultat d’un déficit culturel profond, visible aussi bien dans les organisations qui ont pour nom “partis politiques», que dans les associations? Le constat de délitement et d’échec d’une “classe politique” ne peut que confirmer les retards culturels de la société algérienne, nonobstant le fait que le pluralisme politique ait été introduit depuis un quart de siècle. Ce fut un pluralisme formel, destiné à absorber la colère populaire portée par la rue en octobre 1988. Pour passer à une étape supérieure, constituer une société civile reflétant les vraies tendances de la société et, enfin, fonder une société politique où se retrouve l’élite, l’Algérie a fait l’économie d’un processus qui réclame des efforts, de l’organisation et une volonté avérée de se hisser à la modernité. L’école algérienne, base de l’éducation des jeunes qui sont destinés à prendre un jour les commandes du pays et à mettre fin à la gérontocratie, a été dissoute sur le plan des valeurs, de la pédagogie et du niveau culturel. Depuis que feu Mohamed Boudiaf a fait le constat de son sinistre en 1992, elle n’a fait que s’enfoncer davantage avec ses scandales au baccalauréat, ses frasques de ‘’ataba’’ (seuil de leçons à réviser pour l’examen), ses grèves et les lots de chômeurs qu’elle met chaque année sur un fictif marché du travail. Nés et ayant grandi dans la violence des années du terrorisme islamiste, les jeunes d’aujourd’hui diffusent et pratiquent la violence sociale à grande échelle. Malgré les nouvelles technologies de l’information et de la communication (l’internet, la 3 G,…), la jeunesse peine à accéder à la culture dans ce qu’elle possède de substantifique moelle. C’est la course au gain facile, au crédit Ansej (dont on nourrit le secret espoir de ne pas rembourser les prêts), aux affaires interlopes et aux différentes candidatures (APC, APW, Présidence), quitte pour cela à user des procédés les moins loyaux et les plus abjects. Imparablement, pour sortir de ce cercle infernal, l’Algérie a besoin d’un déclic économique, qui est la fin de la rente, et d’une véritable révolution culturelle, qui est censée être la fin de l’indolence et de la paresse intellectuelle. C’est à la lumière de ces changements majeurs au sein de nos institutions et dans le corps de la société que s’initiera un embryon d’une nouvelle société politique qui soit à la hauteur des enjeux du 21e siècle et des ambitions de l’Algérie nouvelle.
A. N. M.
