Par Amar Naït Messaoud
La visite, hier, de Mahdi Jomâa, nouveau Premier ministre tunisien, en Algérie, est la première sortie à l’étranger de ce nouveau chef d’exécutif non partisan. Il vient d’être désigné à ce poste au moment où la l’Assemblée constituante tunisienne a adopté la nouvelle Constitution post-Benali. Cette dernière a occupé les députés pendant plusieurs mois. Des députés, dont la majorité sont du parti islamiste Ennahda, dirigé par Rached Ghanouchi. Que peut enseigner l’expérience tunisienne, qui a débouché sur une nouvelle Constitution non islamiste et un gouvernement de « compétences » non partisan? La Tunisie s’est, sur le plan politique et conceptuel, entortillée pendant trois ans, dans des considérations fumeuses, comme elle s’est engagée, sur le plan sécuritaire, sur une piste glissante à haut potentiel de dangerosité. L’assassinat d’hommes politiques de grande dimension et de valeur intellectuelle éprouvée, en l’occurrence Choukri Belaïd et Mohamed Brahimi, a été le prix à payer pour éloigner Ennahda de sa propension extrémiste et pour lui signifier le Rubicon qu’il ne fallait pas franchir. Car, ce parti islamiste, porté au pouvoir par des élections précipitées et prenant les allures d’un vote sanction contre un pouvoir policier, a été naturellement débordé par d’autres composantes constituée d’ultras, allant jusqu’à investir les montagnes de Chaâmbi, frontalières de l’Algérie, et que les anciens combattants algériens postés à l’Est connaissent dans leurs moindres recoins. C’est, outre les assassinats individuels ciblés, de ces montagnes qu’est parti l’appel au djihad. Le groupe Ansar Echariaâ a fait entendre ses ambitions au-delà même des frontières tunisiennes. Des combattants tunisiens se sont même retrouvés face aux soldats d’Al Assad à Alep et dans la banlieue de Damas. Mieux, des jeunes filles de l’arrière-pays rural tunisien ont été contraintes de rejoindre ces soldats pour leur tenir compagnie le temps d’une « réjouissance » salace, conseillée à ces mercenaires par des muftis préfabriqués. La Tunisie a réellement frôlé l’inévitable, lorsque la folie meurtrière s’en est prise, en septembre 2012, à l’ambassade américaine à Tunis. Du sang a injustement coulé en Tunisie au cours de ces trois dernières années; cela, après que Mohamed El Bouazizi, en janvier 2011, eut montré au prix de sa vie, la voie à suivre pour se libérer de la tyrannie et de l’injustice. Indubitablement, la Tunisie a bénéficié de la leçon algérienne, d’autant plus que Ghanouchi, lui-même, connaît assez bien notre pays pour y avoir été accueilli en « réfugié » pendant les années 1980. Il y a lieu de rappeler, ici, que la raison principale invoquée par le général Benali, alors ministre de la Défense, pour avoir dépêché des médecins, la nuit du 6 au 7 novembre 1987, au chevet du président Bourguiba afin de déclarer son incapacité à assumer sa charge de président, était un début de « collaboration » entre ce dernier et le nouveau parti islamiste Ennahda, fondé par Ghanouchi. La sénilité du président Bourguiba y était, bien sûr, pour quelque chose. Zine El Abidine Benali se déclara président, le lendemain, 7 novembre. Mais, ironie de l’histoire, c’est la société civile, qui a pris naissance sous Bourguiba, et l’élite éclairée, majoritairement bilingue et de gauche, formée dans l’école moderniste de Bourguiba, qui a barré la route à l’hydre islamiste en Tunisie depuis 2011. Certes, il y a eu des sacrifices humains. Mais le jeu en vaut la chandelle. Il ne faudrait pas, non plus, négliger le poids et la sagesse du président Moncef Marzouki, un médecin qui a longtemps activé dans le domaine des droits de l’homme et qui a subi la prison et l’exil. Son aura et sa sagacité ont su faire garder les grands équilibres politiques et ancrer la lutte démocratique dans la réalité du terrain.
A.N.M.