L’heure des grands choix

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Par  Amar Naït Messaoud

Tout, dans la vie quotidienne des Algériens et dans la gestion de l’espace, annonce des jours difficiles si la pression et le capharnaüm actuels s’allongent dans le temps. La dégradation de la santé physique et mentale des citoyens sera le résultat inévitable d’une situation pourtant…évitable. Embouteillages quotidiens, y compris dans de minuscules chefs-lieux de communes, accidents de la circulation à l’origine de plus de 4 500 morts et des milliers de handicapés par an, décharges sauvages, y compris dans des zones déclarées comme territoire spécifique à protéger, à l’image des parcs naturels, égouts à ciel ouvert polluant ruisseaux et rivières, coulées de boue et inondations en hiver, poussières et incendies de forêts dans la fournaise estivale, des queues infinies devant les services d’état civil et devant les magasins d’alimentation générale pour obtenir un sachet de lait et les robinets sont à sec à quelques kilomètres des grands barrages. La notion de temps tend à disparaître dans pareille confusion. La colère et les récriminations l’emportent sur le bon sens et le dialogue, au point où des sièges de mairies et de daïras sont fermés régulièrement par des habitants en furie. C’est tout le cadre de vie, sous toutes ses déclinaisons, qui se dégrade. C’est l’homme qui se trouve ainsi écrasé dans sa dimension d’habitant, de citoyen et d’électeur. Dans la promiscuité des quartiers urbains, les enfants n’ont pas où aller et où donner libre cours à l’expression de leur énergie juvénile. Ils se cherchent noise, se regardent en chiens de faïence et, parfois, déclarent la guerre des gangs. Dans la partie nord du pays, les villes deviennent de plus en plus insupportables et les routes débordent de véhicules. Dépassé le Tell, la pression diminue légèrement sur les Hauts Plateaux. Au Sahara, les habitants vivent d’autres problèmes: enclavement, éloignement des services publics (santé administration,…), approvisionnement en fruits et légumes de leurs marchés,…etc.  La gestion du territoire est en train de vivre un déséquilibre flagrant. Le territoire algérien, tentaculaire et traversé par plusieurs zones écologiquement différentes, exprime aujourd’hui le ras-le-bol d’une population mal répartie. Rien que la problématique du foncier peut révéler un mal profond dans la gestion du territoire. Les éternelles oppositions sur les projets d’infrastructures déclarées d’utilité publique, les expropriations qui s’effectuent dans un climat des plus tendus et les sempiternelles insatisfactions des habitants donnent à voir les limites atteintes par les territoires septentrionaux, particulièrement ceux du littoral, par rapport à l’explosion démographique et à l’exode rural. Le Conseil national économique et social (CNES) notait, dans un rapport datant de 2004 sous l’intitulé « Configuration du foncier en Algérie comme contrainte au développement économique » : « la crise foncière est à nos portes. L’on assiste depuis des décennies à une dilapidation effrénée des terres à haut potentiel économique, notamment dans les régions du Nord (…) L’Algérie se trouve confrontée à la difficile équation entre une population en croissance rapide et sa répartition spatiale ». Il y est également signalé que 60 % de la population algérienne vit dans la partie nord du pays, sur une portion de superficie représentant 4 % du territoire national et comprenant 70 % des meilleures terres agricoles. Les chiffres officiels reflètent les constats de malaise ambiant, de promiscuité et de pression permanente qui se sont emparés des régions habitées du nord du pays. En effet, plus de 20 millions d’Algériens vivent en ville, soit environ 55 % de la population totale. Cette dernière est aujourd’hui de 39 millions d’habitants. Avec un nombre de mariage de près de 380 000 par an et 980 000 naissances vivantes, d’ici début 2015, cette population franchira le chiffre de 40 millions.

Insuffisance de management

 

Les distorsions de la répartition de la population algérienne sur le plan spatial sont visibles sur le terrain, dans les statistiques et…sur les photos satellites, dont les plus populaires sont celles prises par Google-Earth. Les zones d’habitat, de commerce et d’activités industrielles se concentrent  sur les latitudes situées entre la mer Méditerranée et les derniers contreforts de l’Atlas tellien, couvrant toute la longueur de la frontière tunisienne à la frontière marocaine, et une largeur qui ne dépasse pas une moyenne de 60 à 70 km. L’Algérie, dans la répartition de sa population, a cédé à la facilité d’une division naturelle du climat et du sol. Les zones humides et subhumides, connues pour leur richesse biologique et hydrique et leurs pâturages plantureux, ont été sollicités depuis des temps immémoriaux par les foyers et les ménages. Les zones des Hauts Plateaux ont atteint leurs limites biotiques du fait d’un grave surpâturage qui a entraîné la réduction de toutes les autres ressources. Souvent, le mouton élevé dans cette région, qui ne reçoit que 200 mm de pluie par an, est subventionné par l’État via le soutien apporté au prix de l’orge. Le Sud algérien, qui produit le seul produit d’exportation qui nourrit l’Algérie, n’a subi aucun aménagement qui puisse refléter cette richesse du sous-sol. Aucune ville de grande envergure, moderne, disposant de toutes les commodités aux standards internationaux, n’y est construite. On a laissé l’anarchie urbanistique s’installer dans une ville-champignon qui a pour nom Hassi Messaoud. Ailleurs (Adrar, Tamanrasset, Bechar,..), l’État est le grand absent devant les constructions illicites qui éclaboussent l’esthétique des vieilles cités sahariennes. Imparablement, une grande part des problèmes et du malaise qui prennent aujourd’hui en otage les Algériens est issue de la gestion approximative, voire désinvolte, de l’espace et des ressources naturelles. Les autorités du pays ont établi en 2010 un Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT) qui fait des projections à l’horizon 2025, lorsque le pays comptera 50 millions d’habitants. Il est censé comme le présentent ses concepteurs, « anticiper les ruptures et les risques pesant sur l’espace algérien en tant que lieu de vie à protéger et à préserver « . Mais, devant le recul de l’autorité de l’État, greffée paradoxalement à l’hypercentralisation des institutions et des décisions politiques et économiques, et vu le déficit de formation des agents et cadres de l’administration publique, formation constituant une condition sine qua non de la coordination intersectorielle, le chemin est encore long et ardu pour faire du SNAT un instrument de gestion quotidienne, capable, à terme, de réorienter l’occupation de l’espace, la gestion des ressources naturelles et les priorités en matière de développement.

A. N. M.

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