Le goût et le coût des amalgames

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Par Amar Naït Messaoud

Dès que le nombre de candidats à la candidature pour les élections présidentielles du 17 avril prochain a dépassé les 80, la semaine passée, la curiosité et l’humour ont pris le dessus sur ce qui aurait pu être considéré comme un vrai pluralisme politique, responsable et pondéré.Une chaîne de télévision privée, parmi celles qui ont obtenu l’autorisation de travailler intra-muros, a poussé la mauvaise plaisanterie jusqu’au bout (mais y a-t-il un bout lorsqu’on lâche la bride de l’insolence et du cynisme?), en faisant des sondages grandeur nature, dans la rue, sur les chances qu’ont tous les prétendants à la magistrature suprême à accéder au palais d’El Mouradia. En banalisant et galvaudant à l’excès la fonction présidentielle, quel intérêt poursuit-on au juste, sachant que pour faire rire gratuitement, les sujets ne manquent pas? Du marchand des fruits et légumes, aux émigrés binationaux, la gamme est, apparemment, riche et l’éventail bien diversifié. Comment se fait-il que pour s’organiser en associations professionnelles, scientifiques, écologiques, sociales ou culturelles, les jeunes Algériens sont plutôt rétifs, parcimonieux et peu engagés? Pour ceux qui y sont déjà à savoir les membres de presque 100 000 associations à l’échelle du pays, ils sont majoritairement gagnés par l’esprit de la rente, préférant se situer en satellites de l’administration et grignoter des subsides de subventions sans qu’on en voit un quelconque impact sur le terrain social ou culturel. Le peu de collectifs ou associations qui activent pour le bien de la communauté sont malheureusement noyés dans la masse des rentiers. Ils risquent même, par une généralisation myope et désespérée, d’être mis dans le même lot que toutes les autres organisations à prétention non lucrative. À suivre les ambitions démesurées des uns et les délires auto suggestifs des autres,  il n’y aurait de place, en Algérie, que pour la course à la présidence de la République. L’effarante vacuité de la société civile a anesthésié la réflexion, atrophié les vocations et crée une foultitude de raccourcis. Même si le poste de président de la République est important, il l’est d’autant plus que l’Algérie est basée sur un régime présidentiel et un schéma institutionnel jacobin, il ne peut cependant escamoter ou mettre sous le coude l’importance de l’organisation interne de la société par laquelle cette dernière respire, réajuste ses équilibres et alimente la société politique. La société civile est supposée travailler à l’autonomisation de la société pour que les puissances de la politique et de l’argent n’acquièrent pas de place prépondérante, et pour que les choix que la société aura à faire soient des choix éclairés, dictés par le seul intérêt collectif. Les rencontres que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, organise avec les citoyens dans une salle fermée à la fin de chacun de ses déplacements dans une wilaya, sont présentées comme des rencontres avec la société civile. On connaît pourtant les limites objectives de ces regroupements, sachant que, parfois, des propositions farfelues sont émises dans la salle. Sans aucune réflexion rationnelle, des intervenants se mettent à exiger des CHU dans leur wilaya, des hôpitaux dans certaines petites villes éloignées de 5 km de l’hôpital principal, des piscines olympiques… etc. La société civile qu’attend l’Algérie est celle qui pourra, un jour, servir d’interface entre les gouvernants et les gouvernés, qui pourra amortir les élans autoritaristes de l’État et sensibiliser la société et particulièrement les jeunes, aux grands enjeux culturels, économiques, sociaux et environnementaux. À ce niveau d’intermédiation, elle est censée pouvoir fertiliser le terrain de la réflexion et du dialogue, pour asseoir le rôle et la mission de l’élite dans le pays. La société civile est à l’antipode de la soumission, du clientélisme et de la fonction d’alibi que les princes sont tentés de lui faire jouer. Elle est synonyme d’autonomie et de maturité de la société. Selon la définition qu’en donne la Banque mondiale, elle est un « large éventail d’organisations non gouvernementales et à but non lucratif, qui animent la vie publique, et défendent les intérêts et les valeurs de leurs membres ou autres, basés sur les considérations d’ordre éthique, culturel, politique, scientifique, religieux ou philanthropique : groupements communautaires, organisations non gouvernementales, syndicats, organisation de populations autochtones, organisations caritatives, groupements d’obédience religieuse, associations professionnelles et fondations privées ». On a tendance, en Algérie, à céder à la facilité de dénomination en attribuant, systématiquement, à tout regroupement qui fait vœu de servir la société le nom de société civile. Avec une classe politique consciente, responsable et, surtout, autonome, et une société civile formée par les épreuves et dévouée à l’intérêt collectif, l’on n’aurait certainement pas eu les 80 candidats à la candidature à la présidentielle, au moment où l’école enregistre sa quatrième semaine de grève, où la vallée du M’Zab brûle et où la Kabylie est gagnée par le banditisme et les décharges sauvages. 

 A. N. M.

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