Vigilance pour renforcer les acquis

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Par Amar Naït Messaoud

Le rituel de la célébration de la Journée internationale de la femme revient chaque année et reproduit presque la même littérature de l’égalité des droits entre hommes et femmes et de la promotion de la femme dans l’environnement économique, social et culturel. On a entendu, cette semaine à la télévision nationale, une femme de culture dire qu’elle est contre cette célébration, et pour cause. Dans sa profonde philosophie, la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, à laquelle l’Algérie a souscrit, ne fait pas de différence entre hommes et femmes. Le vocable « homme » utilisé en la circonstance est neutre, pour dire l’homme et la femme. De même, sur le plan des droits, les textes fondamentaux du pays, à commencer par la Constitution, ne sont pas avares en matière de droits accordés à la femme algérienne, même si le code de la famille de 1984 constitue un recul par rapport aux idéaux de libération des Algériens portés par la révolution de novembre 54. Si les luttes féminines, et leur mouvement porté à l’extrême sous le nom de « féminisme », ont continué à exister et à agir sur le terrain à travers le monde, après la Déclaration universelle des Droits de l’homme, et après la guerre de Libération en Algérie, c’est que, visiblement, les textes à eux seuls ne suffisent pas à ancrer les ambitions des élites politiques et sociales dans la réalité et les pratiques de chaque jour. Les pesanteurs de l’histoire, les lourdeurs sociologiques et les schémas culturels toujours en vigueur se mettent au travers des meilleures volontés animées par l’idéal de la promotion de la femme.  En Algérie, deux mouvements dichotomiques semblent avoir évolué depuis l’Indépendance en matière des droits de la femme. Le volontarisme des années du socialisme, où la tendance gauchiste de l’opposition clandestine a apporté son soutien aux actions du l’ancien président du Conseil de la révolution, Houari Boumediene, a pu faire avancer l’idée de la promotion de la femme d’abord dans l’enseignement général et universitaire, et puis, comme suite logique, dans le travail. Trois décennies après l’Indépendance, l’Algérie s’est retrouvée avec des milliers de cadres, médecins, professeurs femmes. De hautes responsabilités techniques et managériales son assumées par de jeunes femmes, dont la qualité du travail et la performance n’ont rien à envier à celles des hommes. Ce mouvement initié dès le milieu des années 1960 a été naturellement nourri par le souvenir de la guerre de Libération où la femme à joué un rôle important, soit en tant que combattante, les armes à la main, soit comme fidaïa, soit dans le réseau de la logistique. La révolution algérienne, comme cela est écrit dans la déclaration du 1er novembre et dans la plate-forme de la Soummam, outre l’objectif principal de mettre fin au système colonial, avait également pour but de libérer la société des carcans et des archaïsmes qui l’ont maintenue dans le sous-développement culturel. Parallèlement à cet élan porté sur la promotion de la femme (éducation, alphabétisation, accès aux différents postes d’emploi,…), un autre mouvement, nourri par un fort conservatisme religieux et niché aussi bien dans l’ancien parti unique que dans des structures périphériques, a tenté de remettre en cause les acquis en matière des droits de la femme. Et la meilleure illustration en est ce fameux code de la famille qui a instauré une sorte de tutelle sur la femme. Le sommet des paradoxes est que cette femme pour laquelle on cherche à coller une tutelle, est aujourd’hui juge, procureure, médecin légiste, commissaire de police, notaire, huissier de justice, pour parler des métiers qui relèvent du secteur judiciaire. À celles-là s’ajoutent des pilotes, des cadres de la protection civile, des ingénieurs en mécanique, en électronique, en agronomie, en conduite auto-école, et tous les métiers requérant technicité précision et maîtrise de soi. Cela, outre les grandes animatrices du champ culturel national, parmi les écrivains, les poètes, les cinéastes, les archéologues,…etc. Le monde culturel algérien a connu de grandes femmes qui se sont battues d’abord comme productrices et créatrices, avant de porter haut le combat pour l’amélioration de la condition féminine dans notre pays. Depuis Taous Amrouche, immense écrivaine et chanteuse, animatrice de radio pendant les années 1950 sur la condition des femmes kabyles, jusqu’à Assia Djebar, femme de lettres de haute voltige qui a pu franchir le seuil de l’Académie française, l’Algérie a vu passer des Yamina Mechekra, Cherifa Benabdessadok, Djouhra Abouda, Hadjira Oulbachir, et d’autres animatrices qui ont tenu à répandre et ancrer l’idée de citoyenneté dans tout ce que comporte ce concept, qui s’applique à l’homme et à la femme, sur le plan des droits et des devoirs. Avec une telle avancée culturelle et psychologique, l’on ne peut ressentir que déception et désappointement face aux tentatives de remettre en cause les acquis de la femme algérienne. Mais, cela donne à cette dernière encore plus de raisons de garder vigilant son esprit de combat. Vingt ans après l’assassinat de la jeune Katia Bengana pour non port du voile islamique, cette vigilance est plus que jamais requise, d’autant plus que les forces conservatrices ne sont pas uniquement situées dans le camp de l’intégrisme islamiste qui assume ses positions, mais également dans certaines structures rétrogrades de la société. Si les instances politiques du pays en sont arrivées à imposer la politique des quotas dans les assemblées élues, pour instaurer une certaines « justice » de parité hommes-femmes, c’est que la société elle-même n’arrive pas encore à se libérer de certains préjugés et pesanteurs. Il ne faudrait sans doute pas négliger le rôle de la dégradation de l’école et du niveau général de l’enseignement dans ce retard de parité en genre.

A. N. M.

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