Il est plutôt difficile de situer la chanson dite “moderne” dans le champ musical algérien, tant l’homogénéisation au niveau de la tonalité, de l’harmonie n’existent pas. Il n’y a pas à proprement parler un style “moderne” spécifique à l’Algérie, par contre, il y a bien une caractéristique typique de la chanson moderne algérienne. C’est le chanteur lui-même. Ceci nous donne qu’en fait de musique moderne, on se réfère non pas à un style, à des normes qui caractérisent le genre, mais plutôt à l’homme. Autant cet homme a de l’entregent, autant la chanson a des chances de marquer. Et le modèle algérien reste à créer. Le chanteur Idir, comme étant reconnu par tous les chanteurs mondiaux le “père” du genre n’est pas assurément, celle du grand poète Aït Menguellet, ou de Matoub dans la chanson kabyle en particulier, qui s’énorgueillent par ailleurs d’avoir reçu de précieux enseignements de ces grands hommes qui tiennent une place à part dans la musique moderne algérienne, El Hadj M’hamed El Anka, Chérif Kheddam, Kamel Hamadi, Cheikh El Hasnaoui… Il n’y a pas donc unité de ton dans ce genre qui ne manque pas pour autant de richesse ni de profondeur. Ce qui revient à dire que pour situer la chanson moderne, son évolution, il faut le faire par rapport au créateur, à l’homme. La chanson moderne est toute instinctive, c’est-à-dire qu’elle fait plus appel aux qualités de l’artiste, à ses possibilités vocales, voire à une improvisation rythmique qu’à une véritable “construction” architecturale. C’est ainsi que la musique moderne algérienne n’est pas construite, elle ne repose pas sur un édifice harmonique précis — pouvant être repris ailleurs — comme la chanson “Avava Inuva” de Idir, qui a fait le tour du monde, Contrairement au chaâbi. Mais elle laisse une bonne part à l’instinct, à l’improvisation de l’artiste, à ses qualités innées, intrinsèques. Le succès d’une chanson dépend en fait de la manière dont l’artiste la “consomme” ou la fait “consommer”. Sous d’autres cieux, un “tube” (un futur succès commercial) est construit, programmé par des maîtres du marketing et du merchandising. Rien n’est laissé au hasard. Chaque “tube” est construit en fonction d’un public précis et chaque artiste a son propre public qu’il “soigne” qu’il “dorlote”. Ainsi, les chansons de Michael Jackson, de Charles Aznavour ou les chanteurs d’Egypte par exemple, sont conçues sur mesure pour ces publics auxquelles elles s’adressent. En l’occurrence, ici le chanteur se transforme en publiciste, d’une marchandise — la chanson — qu’il s’efforce de vendre. Connue dans des pays socialistes, le chanteur est un fonctionnaire de l’Etat dont il est salarié. Qu’en est-il aujourd’hui ? Force est de reconnaître qu’en la matière, nous en sommes encore à l’amateurisme de quartier. Le moins que l’en puisse dire, et que dans ce travail particulier, tout est à faire, à inventer. L’artiste d’aujourd’hui, si l’on peut l’appeler ainsi, n’a pas, ou n’a pu avoir son public, seul apte à le suivre dans sa carrière, à le soutenir, même à le corriger. Aït Menguellet, Idir, Takfarinas… et quelques-uns encore demeurent une exception aujourd’hui. Quel chanteur peut dire qu’il a son public ? Alors que ce dernier (le public) assez versatile, admirera aujourd’hui cheb Mami, pour se rabattre le lendemain sur Guerrouabi qui, le jour d’après fera les frais au profit de X ou de Y, etc. L’art en général est un don inné, somme toute fugitif, quand on peut n’y voir en définitive que l’expression légèrement déviée d’un souci de rigueur dont la valeur fondamentale annule toutes les imperfections du raisonnement. Comme dans une symphonie où l’on écouterait plus le thème que ses variations, retenons surtout cet appel à la qualité et à la création la plus élevée possible. En tout état de cause, bien sûr, l’absence ou la pénurie des grands musiciens explique pour beaucoup, que nos oreilles soient durement maltraitées, transformant des instants virtuels de plaisir en séances de tortures auditives. Mais l’inverse vaut encore plus. En d’autres termes ce n’est pas tant le chanteur qui fait la musique, que la musique fait le chanteur. Pas question de nier une interaction peut-être évidente. Tout juste une manière de rappeler que le chanteur ou musicien se situe en aval de la production musicale au stade de son exécution et du contact physique avec les sons. Conclusion pratique : s’il n’est pas son propre compositeur (le chanteur), il ne peut travailler sur ce qu’on veut bien lui offrir, à la manière d’un cinéaste qui dépendrait d’un scénariste. L’entreprise n’est certes pas aisée. Elle nécessite une ouverture décomplexée sur le patrimoine universel. Si nous voulons honorablement y figurer, pour paraphraser le grand Chérif Kheddam, une éducation et une formation musicale plus sérieuse s’imposent, car nous nous en tiendrons à une bonne transmission auditive de ce patrimoine, pendant même que nous déplorons à cor et à cri la perte irrémédiable de notre musique. Nous ne devons pas tolérer l’accumulation des déformations, triturations et confusions sonores facilitées par des enregistrements qui pataugent jusqu’à présent dans l’indulgence. La polyphonie et l’harmonie restent des rêves mâchés par quelques solitaires et aventuristes aux allures de visionnaires incompris. Et l’on s’en tient mordicus et parfois avec un sectarisme virulent, à une musique appauvrie parce que sans ressourcements, dont elle suscite en nous des résonances suspectes de passéisme. Bien sûr, un artiste de talent et non seulement un interprète, mais un créateur. Mais comment faire quand la musique ou la chanson se complaîsent dans la stagnation, voire dans les imitations.
Le drame des imitations
En effet, depuis un certain temps, nous assistons à une véritable débâcle, particulièrement dans la chanson kabyle. Tous nos chanteurs, notamment les anciens, ont dénoncé à plusieurs, ces nouveaux “babaghayou”, sûrement en mal d’inspiration, qui veulent à tout prix se faire un nom et surtout se… Ce n’est plus un tabou de crier gare sur ce genre de pratiques. Nous avons fini par croire que cette race était en voie d’extinction, du moins sous nos cieux. Il est vrai, qu’à force d’entendre ces succès de jadis si mal répétés partout et si diffusés, ils deviennent normes d’écoute, massacrant sans vergogne ce sens si précieux qu’est l’ouïe. Ils sont en train de voguer sur des sentiers vaseux, confinant presque fatalement, aux idées reçues sur l’hérédité des talents et à des visions génétiques de l’art. Mais ce serait chercher la petite bête que de grossir cet argument. On peut voir et constater du coup, ceux qui ne sont pas des artistes, mais de simples “hommes de métier”. L’homme de métier n’est que la moitié de l’artiste complet, tout comme un marchand de médicaments, ne peut être pharmacien. L’ONDA (Office national des droits d’auteurs) comme son nom l’indique, a une part de responsabilité, de par sa mission, à savoir : la protection des œuvres et les droits d’auteurs, compositeurs, interprètes etc. Sans vouloir trop verser dans l’excès, nous citerons au passage, que lors d’une émission télévisée consacrée à un chanteur, le présentateur lui a posé une question : la réponse de ce dernier sans hésitation aucune a été : “C’est grâce à moi et à ma reprise que les auditeurs savent que cette chanson appartient à X”, pour se justifier. Il est temps de mettre un frein au ridicule, les auditeurs, les chanteurs ne cessent malheureusement de revenir à chaque fois sur cette situation, touchant notre patrimoine. A la lumière de ce qui précède, une question s’impose : Quand comprendra-t-on enfin que la symphonisation de notre chant ne suppose pas, bien au contraire la mort et l’amoindrissement de ce dernier qui ne s’use au fait que parce que l’on ne s’en sert pas. Le travail incombe nécessairement à notre radio pour des diffusions fréquentes de nos anciennes chansons ce qui d’ailleurs, est le souhait de tous, au lieu et place de les confiner dans un créneau uniquement de souvenirs. Terminons par cet adage qui dit : “Si ton chant n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi !”.
S. K. S.