Miroir déformant de la société

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Par Amar Naït Messaoud

S’il y a une catégorie de la société la moins disposée à se contenter ou se « consoler » d’une seule journée sur les douze mois de l’année, à titre de cérémonies et de centre d’intérêt, c’est indéniablement cette frange frappée par le sort, dans ses capacités physiques ou mentales, et que l’on appelle les handicapés. L’Algérie en compte plus de deux millions. Des accidents de la route, des accidents domestiques, des erreurs médicales, des maladies congénitales et d’autres causes encore, souvent liées aux nouveaux modes de vie de la société ont pu mettre un frein à des élans juvéniles, tous destinés à travailler, à se divertir et à jouir de la vie. Rien qu’en raison des accidents de la route, l’Algérie se retrouve, chaque année, en plus de près de 5000 morts, avec plusieurs milliers de blessés, dont des centaines handicapés à vie.Mais, de tout temps, la nature et les efforts fournis pour faire gagner sa vie à l’homme n’ont jamais fait de cadeau à l’humanité. L’accident, la maladie et le handicap physique ou moteur font donc partie de la vie. Nul n’est à l’abri; cela n’arrive pas qu’aux autres, comme ont tendance à le prendre certaines personnes qui ne se sont pas bien encore frottés à la vie et à ses aléas. Et c’est à ce titre, en tant qu’élément généralement imprévisible et incontrôlable du cours de la vie, que le handicap a été pris par les sociétés modernes, singulièrement depuis le premier tiers du vingtième siècle, dans la foulée des congés payés, des congés maladie et des caisses d’assurance et de retraite. Indépendamment des grands choix économiques- libéraux, socio-démocrates ou socialistes-, la prise en charge des handicapés sur le plan des soins, dans une perspective d’éventuelle guérison, sur le plan des appareillages d’accompagnement (béquilles, fauteuil, chaussure ou ceinture orthopédique), en matière de soutien psychologique et de remboursements de frais médicaux. Les handicapés algériens, déclarés invalides à 100 % et ne disposant pas de revenus, perçoivent une allocation de 4 000 dinars/mois; un montant qui ne manque pas de soulever les interrogations et la colère, non seulement des handicapés eux-mêmes, mais également de tous ceux qui tiennent à défendre la dignité humaine d’une frange importante de la société. Cette obole ne permet ni d’assurer l’alimentation et les besoins primaires du pensionnaire, ni de pouvoir se payer les prestations d’un garde-malade ou d’un accompagnateur, pour ceux qui n’ont pas de proche parent dont ils solliciteraient le service. Actuellement, prés de 220 000 personnes handicapées perçoivent cette pension de 4000 dinars/mois. La revendication première des handicapés, de leurs parents et des associations versées dans l’assistance aux personnes aux besoins spécifiques, est que cette pension soit revalorisée, sachant que le pouvoir d’achat de tous les Algériens ne cesse d’être grignoté par une inflation galopante.L’Algérie, de par l’embellie dont jouissent ses recettes pétrolières, conduit l’une des politiques de transferts sociaux les plus « généreuses » qui soient, avec un montant annuel qui oscille entre 12 et 16 milliards de dollars. Mais le grand hic dans ce genre de libéralité est le ciblage et l’efficacité de l’action de l’État. Sinon, comment peut-on expliquer que les handicapés, invalides à 100 %, soient appelés à vivoter avec 4000 dinars par mois?La Journée nationale des handicapés, célébrée le 14 mars de chaque année, et la Journée internationale consacrée à cette même catégorie, célébrée le 3 décembre de chaque année,  peuvent s’employer à transmettre les discours les plus rassurants et les plus « mielleux », mais elles sont loin de pouvoir aplanir les difficultés et les handicaps dont souffrent les handicapés. Car, outre la pension et les prises en charges en matière d’appareillage et de soins, les handicapés ont surtout un grand besoin d’insertion sociale sous tous ses aspects; à commencer par les couloirs et les escaliers adaptés à la locomotion de cette catégorie dans les espaces publics (bureaux de postes, arrêt de bus et tramway, centres hospitaliers, maisons de culture,…), jusqu’à la création de postes de travail adaptés aux différents handicaps recensés. Inexorablement, le constat qui, aujourd’hui, crève les yeux, est que le système national de prise en charge des handicapés est noyé dans des opérations de prestige, à l’occasion de la célébration de la journée nationale ou internationale dédiées à cette catégorie. Malheureusement, outre cette tendance au folklore et à l’acquittement de sa conscience par rapport aux handicapés, le bouillonnement du front social, qui n’a pas cessé au moins depuis les trois dernières années, a, lui également, dilué les revendications des « sans voix » que sont les handicapés. Il ne peut y avoir de justice sociale et l’on ne peut parler d’une véritable solidarité nationale, si l’action des pouvoirs publics n’arrive pas à se manifester d’une façon prégnante dans son intervention en direction de la catégorie des handicapés.  

A. N .M.

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