Urgence signalée

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Le secteur de la santé à l'échelle de la wilaya de Bouira se trouve dans un état des plus déplorables.

Ce constat est celui des nombreuses commissions ministérielles et de l’APW, mises en place afin de diagnostiquer les maux dont semble pâtir ce segment névralgique. Ainsi, les dites commissions ont transmis leurs rapports au wali, au DSP et même au ministère de la population et de la santé mais sans grands résultats.  Pourtant, les pouvoirs publics ont mis « le paquet » en matière de structures hospitalières. Selon les chiffres de la DSP, la wilaya de Bouira dispose de 5 hôpitaux, de 33 polycliniques, de 131 salles de soin, et de 5 centres d’hémodialyse, ceci, rien que pour le secteur public. Dans le privé on dénombre 3 cliniques médico-chirurgicale, 2 centres d’hémodialyse, 5 centre d’imageries médicales, 128 praticiens spécialistes, 105 médecins généralistes, 159 pharmacies et 40 auxiliaires de santé.  D’après les services de la DSP, l’année 2014 verra le lancement d’autres projets, à l’instar d’un hôpital de 120 lits à Aïn-Bessam, un autre d’une capacité de 80 lits à Bordj Okhris, une polyclinique à Guerrouma, une autre à Saharidj et un centre de transfusion sanguine à Bouira-ville. Bref, autant dire que la wilaya de Bouira est « gâtée», en matière de structures, par rapport aux autres régions du pays.  Mais voilà le constat est quand même peu reluisant, à bien des égards, notamment dans la prise en charge des malades et la disponibilité des médecins.  D’ailleurs, le ministre de la Santé de la Population et de la Réforme hospitalière, M. Abdelmalek Boudiaf, a, lors de sa récente visite dans la wilaya, déploré « la défaillance en matière de gestion des hôpitaux et de prise en charge des malades ».

La prise en charge des malades laisse à désirer

En effet, les différentes structures de santé à travers la wilaya font toujours preuve d’une prise en charge approximative des malades. Ces derniers sont souvent négligés, ballotés entre les différents services, pour ne pas dire livrés à eux même. Cette situation, on la retrouve notamment dans les divers EPSP et EPH de la wilaya. Ces deux structures qui sont, sur le papier du moins, complémentaires et indissociables l’une de l’autre, sont dans les faits rongées par une mauvaise gestion et une anarchie indescriptibles. Le personnel de ces deux établissements se  » tirent dans les pattes », et ce au détriment des malades. Comment ? Eh bien, si on prend à titre d’exemple l’acheminement des patients vers telle ou telle structures, on constate que les ambulanciers se renvoient  » la patate chaude » qui n’est autre que le malade ! Chacun se dérobe pour le transporter et le ramener à sa destination. Bref, chacun impute la responsabilité à l’autre et, dans tous les cas de figure, c’est les patients qui en pâtissent. Cet état de fait a été soulevé par de nombreux malades au niveau de la daïra de M’Chedallah. Certains d’entre eux disent qu’ils sont souvent  » pris en otage » par le personnel des deux structures (EPH et EPSP). Pourtant, chacun des deux établissements a ses propres prérogatives qu’il se doit de respecter. D’autres citoyens de la même localité notamment ceux résidant dans la commune d’Aghbalou (Takerboust), à l’extrême est de la wilaya, avouent qu’ils préfèrent aller se soigner au niveau de l’EPH de Tazmalt ou même celui d’Akbou, relevant de la wilaya de Bejaia, plutôt que celui de M’Chedallah. La cause ? Tout simplement, une meilleure prise en charge à tous points de vue. Toujours dans le registre de la qualité des services, les EPH de Lakhdaria, Aïn-Bessem et Sour-El-Ghozlane, sont également mises au banc des accusés par les citoyens. Ces derniers, du moins ceux que nous avons interrogés, indiquent clairement qu’ils ont été à l’occasion, parqués comme du bétail.  » L’hôpital de Lakhdaria ? C’est un cauchemar ! J’ai été admise après un accident de la circulation. Je peux vous affirmer que j’ai dû attendre à même le sol, pendant plus de deux heures, avant qu’un infirmier daigne venir à mon aide. Nos hôpitaux sont des mouroirs. Celui qui vous dira le contraire, ne vit pas dans la même wilaya », dira Mme Belhareth Sonia, une quadragénaire originaire de Kadiria. Le même constat a été établi au niveau de l’EPH de Sour El Ghozlane. Certains élus ont noté en pleine séance plénière de l’APW une « défaillance avérée » dans l’accueil et la prise en charge des malades. « Nos concitoyens ressortent de nos hôpitaux, plus malades qu’ils y sont entrés ! » Lancera un élu de Sour-El-Ghozlane. Même topo à l’hôpital d’Aïn-Bessem où la prestation au niveau des services des urgences laisse à désirer. Selon certains patients, rencontrés à l’entrée du même service, l’intervention médicale réservée à certains cas d’urgence n’est pas à la hauteur des attentes. «Je suis diabétique et je souffre de plusieurs autres problèmes de santé. On me fait attendre depuis trente minutes, comme s’il ne s’agissait pas d’une urgence», dira notre interlocuteur. Ces carences sont accentuées par le manque de personnel médical capable de répondre aux doléances des patients. Ceci dit, les conditions d’accueil au niveau de ces services se détériorent davantage les week-ends et durant la nuit, puisque le personnel médical se trouve en partie au repos et que diminue la capacité de réception, ce qui renvoie au second plan certains cas médicaux qui nécessitent la priorité. Le problème de l’orientation au niveau de l’accueil se pose fréquemment aussi. Certains patients, arrivant dans un état grave, ne bénéficient même pas de l’accompagnement nécessaire. Par ailleurs, l’on constate fréquemment la présence d’individus étrangers, sans aucune relation avec l’établissement, chose qui ne facilite pas la mission des médecins et du personnel hospitaliers, nous dira une infirmière sur place. Même les patients gardés en observation médicale ne sont pas épargnés par la gêne occasionnée par cette situation, affirme-elle. Dans certains cas, les malades de la commune d’Ain-Bessem sont orientés vers d’autres établissements de soins à cause de l’absence de scanner au niveau des urgences, ce qui provoque un désarroi chez les patients et leurs familles. La scène qui suit illustre on ne peut mieux cette déliquescence de la notion de service public dans nos hôpitaux : Il est midi, à proximité du bloc des urgences de l’EPH Mohamed Boudiaf, les malades prennent leur mal en patience, éparpillés dans les quatre coins du bloc, dans un état des plus lamentables. Mais le seul souci des trois médecins qui se trouvaient dans les parages était de… se remplir la panse. «  Consternant ! », fulminera un citoyen qui est venu s’enquérir de l’état de santé de sa nièce, victime d’un accident de voiture. Toutefois, les trois « pseudo-praticiens » ont été vite « épinglés » par le directeur de l’EPH de Bouira, M. Bounous Louness : «  Que faites-vous ici ? Allez vite vous occuper de vos malades ! C’est honteux de votre part… Vous vous esquivez pendant que vos malades sont entre vie et trépas, cest inqualifiable ! », a-t-il lancé d’un ton furieux.

8 gynécologues et 0 radiologues

Malgré ces agissements indignes, de la part de certains praticiens, les malades, du moins ceux que nous avons interrogés, déclarent avoir été pris en charge  » correctement ». C’est ce que nous dira notamment Azzedine, victime d’un accident de la route. » Moi et mon épouse, nous avons été pris en charge de manière que je qualifierai de correcte. J’enregistre une certaine amélioration des conditions d’accueil. Cependant, des progrès restent encore à faire », soulignera-t-il. Cependant, les cinq EPH, dont dispose la wilaya de Bouira souffrent depuis longtemps d’un manque flagrant de médecins spécialistes, notamment en anesthésie-réanimation, cardiologie, gynécologie et radiologie, d’où l’absence d’une réelle prise en charge des patients qui se trouvent obligés de se déplacer à Tizi-Ouzou ou Alger. Un véritable calvaire. Il faut souligner, par ailleurs, que ces établissements hospitaliers assurent la couverture médicale des populations des communes avoisinantes et des zones éparses, du nord et du sud des wilayas de Médéa et M’sila. Si les moyens matériels et autres équipements ne font apparemment pas défaut, le problème des médecins spécialistes se pose toujours avec acuité. Actuellement, faute de personnel spécialisé plusieurs services de santé se trouvent dans un état préoccupant, ce qui contraint les patients à faire des déplacements vers les établissements hospitaliers publics et privés des wilayas voisines. A noter également que trois scanners, mis au service des EPH de Sour-El-Ghozlane, M’Chedallah et Bouira, sont à l’arrêt depuis 2011, faut des médecins radiologues. Ces derniers sont carrément inexistants à l’échelle de la wilaya de Bouira.  En effet, le secteur de la santé à Bouira, peut se targuer d’avoir des équipements de pointe en la matière, chose qui est un luxe dans certaines wilayas du pays. Mais, comble de l’absurde, ces équipements sont à l’arrêt, faute d’opérateurs pour les faire fonctionner ! Par ailleurs, on ne peut parler du secteur de la santé de Bouira sans évoquer le sempiternel problème des gynécologues et autres médecins spécialistes. Ces derniers, sont carrément introuvables. On n’hésite plus à parler de pénurie. Pour toute la wilaya de Bouira, on dénombre huit (08) gynécologues et pratiquement tous se retrouvent au niveau de l’EPH de Lakhdaria. Ce constat amer, à plus d’un titre, a poussé le ministre à prendre des mesures afin de pallier à cette pénurie, annonçant l’affectation d’un « palette » de médecins spécialistes, parmi eux des gynécologues et des radiologues

Quand les affectations se font « en haut lieu »

Cette pénurie en médecins trouve son explication dans les dédales de la règlementation. Comment ? Eh bien, jusqu’à récemment, l’affectation des médecins, dans le cadre de leur service civil obligatoire, se faisait au niveau du ministère de la santé. Les services de la DSP, de la wilaya concernée, n’avaient nullement leur mot à dire. Cette situation ubuesque favorise les passes droits, et autres « coup de pouce », afin d’affecter un tel ou un tel, dans une wilaya qui les « arrange ». « Je suis d’Alger, je viens de terminer mon cursus et j’ai demandé à être affectée à Bouira, car j’ai de la famille dans cette wilaya et je sais pertinemment que cette région manque cruellement de médecin néphrologue. J’avais bon espoir d’être rattachée là-bas.  Mais, à ma grande surprise, on m’a envoyé à Oued Rhiou, dans la wilaya de Relizane », raconte le Dr Bounoura Celia.  Avant d’ajouter : « Quand j’ai cherché à comprendre les raisons de ce refus, on m’a sèchement répondu : ‘’ Maandkch El Maarifa’’ (Tu n’es pas pistonnée). Alors je me suis résignée à accepter mon affectation. Par la suite, je me suis rendue compte que Relizane n’avait pas autant besoin de néphrologue que Bouira. C’est absurde ! », s’est-elle désolée. Mieux encore, et dans le registre du ‘’grotesque’’, on constate que le service civil peut être flexible, pour seulement… 30 kilomètres de différence ! A titre d’exemple, la durée du service civil des médecins n’est pas la même, s’ils optent pour Lakhdaria ou Bouira-ville. Deux ans pour la première et trois pour la seconde. De ce fait, le choix est vite fait pour les médecins ; ils déclinent systématiquement leur affectation vers les autres EPH de la wilaya. Pourquoi ne pas les contraindre, préconisent certains. Ce n’est pas chose aisée, car la wilaya de Bouira n’offre pas toutes les commodités nécessaires, essentiellement le logement de fonction. À cet argument, le wali de Bouira a répondu qu’il ferait  » tout son possible », pour faire venir des médecins en leur donnant les moyens de s’installer à Bouira.

Les dialysés dans la tourmente !

Autre carence signalée dans le secteur, celle ayant trait à la prise en charge des dialysés. Ces malades chroniques, via le biais de leur association, dénoncent de manière périodique les  » négligences » dont-ils se disent être victimes. M. Izem, président de ladite association, ne cesse de s’insurger contre l’indisponibilité des traitements vitaux, à l’instar du Rénagel et du Mimpra. Ce malade soulignera également que beaucoup d’autres comme lui, pris en charge au centre d’hémodialyse de Bouira, refusent les traitements d’origine chinoise et indienne. Ces médicaments traitant l’anémie seraient inefficaces ou entraîneraient des effets secondaires, selon notre interlocuteur. Autre point soulevé par M.Izem, celui relatif à l’absence de médecin néphrologue. D’ailleurs, le 23 juillet dernier, plusieurs dizaines de dialysés ont tout bonnement refusé de se soigner en signe de protestation contre ce qu’ils ont qualifié de conditions de prise en charge  » honteuses », selon leurs propres termes. Toutefois, cette version des faits est contestée par le DSP par intérim de la wilaya, M. Châaban Sidhoum. En effet, selon ce dernier, la DSP assure « une couverture sanitaire irréprochable à l’ensemble des malades. » « Nous n’avons jamais connu de rupture de consommables dans nos établissements, les générateurs sont neufs et le transport sanitaire est assuré régulièrement grâce à la convention avec la CNAS… ». On apprend, par ailleurs, que deux autres cliniques privées seront opérationnelles prochainement à Lakhdaria, il s’agit du centre de proximité de dialyse qui compte 08 générateurs et la clinique Meriem-Dial qui dispose de 13 générateurs. A partir de ce qui a été relaté il est indéniable que « le secteur de la santé », au niveau de la wilaya de Bouira, « est malade ». Ses symptômes sont multiples et ne cessent de s’aggraver au fil du temps. De l’avis de tous les citoyens interrogés et des divers élus qui se sont exprimés sur le sujet, il est grand temps que les autorités locales et même le ministère de la santé se penchent sur le cas de ce « patient ». Un diagnostic approfondi et un traitement adéquat pourraient, de l’avis de tous, éviter le pire à ce secteur que certains qualifient déjà de moribond.

Le DSP s’explique

En réponse à nos questions à ce sujet, le Directeur par intérim de la santé et de la population (DSP) de la wilaya de Bouira, M. Sidhoum Châaban, s’est exprimé à propos des affectations des médecins spécialistes au niveau de la wilaya de Bouira : « Le corps des médecins spécialistes a été géré jusqu’au début de cette année, par les services du ministère de la santé. Ils étaient directement affectés vers les hôpitaux, par décision ministérielle, chose qui pourrait expliquer les problèmes de déséquilibre dans les affectations », nous dira le même responsable. Et d’enchaîner : « Mais dorénavant, et avec les nouvelles mesures du ministre de tutelle, les recrutements des médecins spécialistes se font à partir des directions de santé (DSP). On pourra, par voie de conséquence, alléger les problèmes de déséquilibre au niveau de nos hôpitaux ». Le même responsable citera, à titre d’exemple, l’affectation récente dans ses services, de trois chirurgiens vers les EPH d’Aïn-Bessem, Sour El Ghozlane et M’Chedallah. Dans la foulée, le même responsable annoncera la réouverture des services des urgences (UMC) de l’EPH de Bouira. Il annoncera également l’ouverture imminente du laboratoire d’analyses médicales au niveau de la commune de Sour El Ghozlane, de même le nouveau service d’urgence (UMC) au niveau de l’EPH d’Aïn-Bessem. Certes, on ne peut minimiser les efforts déployés par le personnel médical et paramédical de la wilaya pour améliorer la couverture sanitaire afin de répondre aux besoins grandissants des populations. Malgré tout, les malades continuent de subir les conséquences du déficit en spécialistes, endurant des conditions pénibles, étant souvent acheminés vers les hôpitaux de Tizi-Ouzou, Blida ou encore Alger. Les plus chanceux par leur fortune se rabattent sur le secteur privé.

Ramdane.B  et Oussama.K

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