Il est rentré chez lui avec une valise à la main, les poches vides et l’esprit dérangé. Il disait avoir fait fortune puis faillite mais que son associé prenait toujours soin de la koubania (2) qu’un jour il construirait une fabrika (3), ici même, et qu’il embaucherait tous les valides du village. L’amjah (1), dans ses fabulations effraye beaucoup plus qu’il ne convainc. Il disait avoir pris le tram à New York et payé 25 centimes. Il a tant et tant voyagé au-delà des Amériques, jusqu’au bout du monde où, derrière trois grandes portes en bronze régnait El malik lasfer (4), et tous les secrets d’ici-bas sont dans un ordinateur géant que le peuple peut consulter nuit et jour. Il disait être rentré en Algérie dans une rutilante “traction-avant”, et fait Oran-Alger alors que la route nationale n’était qu’une piste poussiéreuse. Cruel exercice que celui auquel s’adonne l’amjah chaque jour. Il assemblait douloureusement les fragments de sa mémoire défaillante pour de désopilants récits. Le multipartisme et les débats télévisés accentuèrent son délire.A la vue d’un chef intégriste islamiste, il eut la même exclamation que Charlie Chaplin en voyant Adolphe Hitler : “C’est un usurpateur!”. Mais si Charlot reprochait au Führer de lui avoir volé sa moustache, l’intégriste islamiste, lui, est sorti droit du cauchemar de l’amjah.
1) raté2) compagnie3) fabrique4) le roi des jaunes