Selon le dernier rapport du Conseil mondial du tourisme et du voyage (WTTC), l’Algérie se positionne à la 111e place, sur 184 pays, loin derrière la Tunisie (49e) et le Maroc (38e).
La raison serait, d’après ledit rapport, la stagnation dans l’apport de l’industrie du tourisme et du voyage au PIB. Selon la WTTC, cet apport a été estimé à 8%, en 2013, et pour l’année en cours (2014), il devrait se stabiliser autour de 8,1%. La prédominance du tourisme domestique (97,3% du PIB direct du secteur, en 2013), justifie ce classement. En effet, seulement 2,6 millions de touristes internationaux sont attendus en 2014, en Algérie, contre 10,2 millions pour le Maroc et 6,3 millions pour la Tunisie. Ces chiffres reflètent une bien triste réalité celle que notre pays, qui n’a rien à envier à nos voisins en termes de sites touristiques, a résolument tourné le dos au tourisme. Ce constat, on le retrouve également à l’échelle locale. Ainsi, le secteur du tourisme à l’échelle de la wilaya de Bouira est au point mort, et ce, de l’avis de nombreux experts et autres spécialistes du domaine. Toutes les conférences et journées d’étude, organisées autour de ce thème, avaient comme seul et unique objectif de trouver la solution, afin de redynamiser ce secteur qui peine à sortir de sa léthargie. Cela étant, tous les experts s’accordent à dire que la wilaya de Bouira recèle un riche potentiel touristique, qui ne demande qu’à être exploité à sa juste valeur. Ces mêmes spécialistes affirment et regrettent en même temps que la culture du tourisme ne soit pas encore enracinée chez les algériens, en général, et les Bouiris en particulier. Enfin, il ressort des diverses rencontres initiées par les autorités, les associations et autres acteurs du domaine, que la wilaya de Bouira, à l’instar d’autres régions du pays, souffre d’un véritable déficit en matière d’infrastructures touristiques. A partir de ce constat, des interrogations surgissent. Quel est le potentiel touristique de la wilaya ? Pourquoi les autorités et les investisseurs privés n’ont-ils pas misé sur la destination Bouira en termes d’investissements ? Les citoyens sont-ils réellement réfractaires au tourisme ? Si oui, d’où vient cette « aversion » pour cette culture ?
Que d’atouts !
C’est un fait, la wilaya de Bouira est gâtée par dame nature ! Elle bénéficie d’un important potentiel, naturel et touristique, d’espaces montagneux forestiers, sites historiques et archéologiques… Tout cela lui permet de se prévaloir du statut de wilaya à vocation touristique par excellence. Ainsi, et en ce qui concerne le tourisme thermal, la wilaya de Bouira, particulièrement sa partie sud, est dotée de sources thermales traditionnelles, dont les vertus thérapeutiques ne sont plus à démontrer. Cette richesse est un potentiel important en matière de tourisme de santé et de bien-être. Ainsi, dans les commune d’El Hadjra Zerga, à l’extrême sud de la wilaya, on trouve trois sources thermales, Si Saïd, Oued D’hab et Draâ Djemââ. Au niveau de la municipalité de Taguedit, on retrouve également deux sources, à savoir Oued Akhris et Ouled Chahba. Et dans la commune de Dirah, il y a la source d’El Hammam. Mais toutes ces sources ne sont malheureusement pas exploitées à ce jour. La seule qui est exploitée est celle de Hammam K’sana, relevant de la commune d’El Hachimia. Toutes les catégories d’âges s’y rendent, à la recherche de repos ou de cures thermales. D’autres y viennent tout simplement pour bronzer au bord des eaux de l’oued qui ne tarit jamais. En hiver, particulièrement, l’engouement est indescriptible. L’un des visiteurs du complexe a raison d’insister sur la nouvelle culture du thermalisme parmi la jeune génération, contrairement au passé où Hammam K’sana était synonyme de cure, uniquement pour des personnes âgées. Pour ce qui est du tourisme culturel, il est, à vrai dire, quasiment inexistant à travers la wilaya. Les quelques sites historiques que contient la wilaya sont laissés pratiquement à l’abandon ou sous médiatisés. Au niveau de la commune de Sour El Ghozlane, on retrouve quelques vestiges de l’Empire Romain. Dans la commune d’El Hakimia, il y a le célèbre tombeau de Takfarinas, mais à vrai dire, tout est laissé en friche par les autorités. Mais qui dit Bouira, dit tourisme de montagne. Ce segment se taille la part du lion. En effet, il y a tout d’abord le Parc National du Djurdjura, qui s’étend sur plus de 18 550 hectares, que se partagent les wilayas de Tizi-Ouzou et de Bouira. 8210 hectares représentent la partie «Bouirie » du parc, qui occupe la cinquième place de l’ensemble des parcs nationaux d’Algérie et renferme le tiers de la flore (990éspècce) algérienne, comme il abrite la majorité des mammifères et oiseaux d’Algérie et d’Afrique du Nord. Ensuite, il y a bien évidement le joyau de Bouira qui est le relief montagneux de Tikjda. Ce site, qui culmine à 1478 mètres d’altitude, offre des paysages magnifiques, quel que soit la saison. Pour rappel, le mont Tikjda abrite le siège administratif du Parc national et biosphère de l’UNESCO, et aussi le Centre national des loisirs et des sports (CNSLT). En plus de Tikjda, quelques sites panoramiques et pittoresques font partie de plan du tourisme de montagne de la wilaya de Bouira, comme les gorges de Lakhdaria, les sites de Tala Rana et le Col Tizi N’kouilal, dans la commune de Saharidj, Ain Zebda dans la commune d’Aghbalou, et Djebel Dirah. Bref, il est incontestable que Bouira dispose de ressources touristiques qui lui permettraient de tirer son épingle du jeu en terme d’attractivités touristiques.
Des moyens dérisoires !
Mais alors, pourquoi elle est engluée dans les profondeurs du classement des destinations les plus prisées par les touristes. La réponse se trouve, peut-être, dans le manque d’infrastructures touristiques. En effet, pour espérer que le touriste pointe le bout de son nez, il faut tout d’abord des endroits pour l’accueillir, c’est une évidence. Cependant, Bouira ne dispose qu’en tout et pour tout de dix (10) hôtels et pratiquement tous, sont situés en milieu urbain et plus précisément au niveau du chef-lieu de la wilaya. Le touriste viendrait-il à Bouira pour uniquement visiter le quartier de l’Ecotec ou bien les 140 logements ? Bien sûr que non ! Déjà à ce niveau, on remarque une incohérence flagrante et un manque de vision touristique de la part des investisseurs. Sur les dix hôtels, deux seulement sont situés en montagne, à savoir, le Centre National des Sports et Loisirs de Tikjda et le chalet du Kef, dans la même région. Pour ces deux hôtels, les hypothétiques touristes ne doivent pas s’attendre à des palaces, loin de là… le premier ne dispose que de 109 lits et le second d’à peine 70. Certes, des extensions sont au programme, mais au rythme au vont les choses, il est fort à parier que ces agrandissements ne verront pas le jour de sitôt! Ce retard en matière d’infrastructures, ne touche pas uniquement les hôtels, sinon ça aurait été un moindre mal. Il touche également les équipements et autres installations qui font que le touriste ait l’envie d’y poser ses valises et, surtout, de rester le plus longtemps possible et, pourquoi pas, y revenir. A titre d’exemple, la station climatique de Tikjda n’a de touristique que les paysages, grâce à Dieu. Ni station de ski digne de ce nom, ni piste skiable, ni télésièges… juste un hôtel, un restaurant, une cafeteria et… c’est tout ! Pis, le chalet du Kef est, comme son nom l’indique, un minuscule chalet niché sur les hauteurs. Pour les commodités inhérentes au tourisme, il faudra repasser. Autre difficultés pour les éventuels touristes qui auraient l’envie de « s’aventurer » à Tikjda, le transport ! Pour y aller, surtout quand le touriste n’est pas véhiculé c’est le chemin de croix, avec les déchets en prime. Ni bus, ni téléphérique ou montées mécaniques… Rien ! Un taxi ou un clandestin sont à prévoir, tout en espérant que ces transporteurs daigne vous y emmenez sans vous dépouiller. Concernant les autres sites, des gorges de Lakhdaria, de Tala Rana ou d’Ain Zebda, ils sont carrément inexploités et inexplorés. Des projets, toujours des projets, c’est ce qu’avancent les autorités, mais à ce jour, aucun n’a vu le jour. Pour ce qui est tourisme thermal, ce n’est guère mieux. À Hammam K’sana, le curiste, doit emprunter un chemin étriqué dégradé et jonché de ralentisseurs, le tout en inhalant de la poussière provenant d’une carrière limitrophe. Une fois sur les lieux, il est confronté à l’absence d’hôtels, de restaurants, cafétérias, parkings, piscines et autres structures adéquates. Sans compter l’amateurisme du personnel, souvent embauché sans la moindre qualification. A ce sujet, un visiteur écœuré nous déclare avec amertume : « Je ne pense pas que j’oserais revenir au Hammam, surtout pas en famille ! », avant d’ajouter : «Malgré le bon accueil et la prise en charge à l’intérieur de la station thermale, avec son infrastructure des plus modernes, l’absence de dortoir, de restaurants ou de lieux de repos m’ont fait changer d’avis, surtout que tout le tronçon routier est dans un piteux état».
Quand la «culture» fait défaut…
Le manque d’infrastructures ne suffit pas à expliquer l’échec du tourisme en Algérie et, de surcroît, à Bouira. Qu’on se le dise, le tourisme est, avant tout, une culture, une conception, un mode de vie. On pourrait avoir toutes les infrastructures du monde, quand l’autochtone n’est pas très accueillant et n’a aucun respect pour son hôte, c’est perdu d’avance. Malheureusement, l’Algérien, n’a pas cette culture, ni cette mentalité. Si on prend l’exemple de la wilaya de Bouira, une wilaya dite conservatrice et puritaine, à l’image du pays tout entier, la population peut-elle concevoir que des touristes étrangers puissent se balader en tenue légère, au vu et au su de tous ? Peut-elle admettre que ces mêmes touristes s’échangent des baisers ou boivent de l’alcool en public, très probablement non. Cette population est-elle prête à se plier en quatre pour satisfaire les «caprices» des touristes, comme c’est le cas chez nos voisins marocains ou tunisiens ? La réponse est sans doute négative. L’algérien, il faut bien l’admettre, est trop orgueilleux, présomptueux et n’est nullement disposé pour l’heure, à avoir une culture touristique. En un mot, il n’est pas encore «mature» pour assimiler cette conception. C’est là que le mouvement associatif, du moins à l’échelle locale, doit jouer son rôle. A titre d’exemple, dans la wilaya de Bouira, on compte pas moins d’une vingtaine d’associations culturelles et touristiques. On citera, pêle-mêle, les associations Mimouna et Tikjda, de Haïzer, l’association Histoire et Archéologie de Bouira, Héritage Algérie, les associations culturelles d’Ighil Zougzghen et celle du village Tassala de Taghzout… etc. Mais toutes ces associations ne font pas dans la sensibilisation. Elles se contentent d’organiser des évènements, sans pour autant essayer d’inculquer la culture touristique aux citoyens. Mais d’où vient cette «aversion» pour le touriste, ou plutôt de la culture touristique ? Eh bien, tous les spécialistes s’accordent à dire que la culture rentière est la cause de cette « immaturité ». En effet, et à l’inverse de nos voisins, l’Algérien n’a pas besoin (pour l’instant) du tourisme pour survivre. Pour certains experts, le pétrole et les hydrocarbures, de manière générale, sont la «malédiction» de l’Algérie et du tourisme en particulier.
Un schéma aux oubliettes ?
Afin de palier à toutes ces carences, l’Etat a mis en œuvre, depuis 2011, des mécanismes visant à réhabiliter et redynamiser le secteur du tourisme. Parmi eux, on citera le Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT), qui englobe le Schéma directeur d’aménagement touristique (SDAT) qui s’articule autour de cinq (05) grands axes : Faire du tourisme l’un des moteurs de la croissance économique, impulser par un effet d’entraînement les autres secteurs économiques (l’agriculture, le BTPH, industrie, artisanat, services), combiner la promotion du tourisme et l’environnement, promouvoir le patrimoine historique et cultuel et améliorer durablement l’image de l’Algérie. A l’échelle de Bouira, ce programme, « ambitieux » sur le papier, vise à dessiner les contours de cette politique, afin de savoir quel genre de tourisme est à privilégier, dans une wilaya possédant autant d’atouts. Si, comme nous l’avons vu antérieurement, le tourisme de montagne demeure l’un des points forts de Bouira, il n’en demeure pas moins que le tourisme thermal ou encore le tourisme de masse, sont des créneaux non négligeables. Ainsi, un programme d’action a été tracé ces trois dernières années, pour recenser toutes sortes de tourisme existant, de l’écotourisme en passant par la préservation de l’environnement et même en associant le tourisme religieux, pour mettre en valeur l’historique des Zaouïas de la région. La direction du tourisme qui devait, à cet effet, associer tous les partenaires pour mettre en œuvre cet atelier, mise essentiellement sur les associations qui soutiennent l’artisanat. Le schéma directeur de l’aménagement du territoire est un cheminement méthodologique de l’étude et le diagnostic des territoires à vocation touristique de la wilaya aborde la deuxième phase en préparant la stratégie de développement. Un échantillon des différents profils des touristes se rendant dans la wilaya a été établi, faisant ressortir un engouement pour le tourisme de montagne, devançant de loin le tourisme thermal. Cependant, son application reste très approximative. D’ailleurs, l’ex-ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Hadj Saïd, a, lors de son dernier passage à Bouira, déploré le manque d’application du SDAT. «La wilaya de Bouira fait face à un déficit en matière de promotion touristique», avait-il signalé.
Ramdane.B /Oussama.K