Entre culture, mémoire et économie

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Par Amar Naït Messaoud

La corporation des artisans se retrouvera lundi prochain, à Tizi-Ouzou, pour des assises devant débattre des problèmes spécifiques à cette catégorie socioprofessionnelle. Ce regroupement se passe quelques années après les assises nationales au cours desquelles les acteurs du terrain, les associations et l’administration ont émis des recommandations qui restent, dans leur majorité des ambitions non encore atteintes. L’optimisme qui a présidé aux assises nationales a permis de projeter la création de deux millions d’emplois à l’horizon 2025. Le réalisme consisterait sans doute à vouloir garder d’abord les emplois actuels, sachant qu’ils sont menacés chaque jour davantage par mille et un facteurs liés à la cherté de la matière première, à la difficulté de commercialisation du produit fini et aux sérieux aléas pesant sur la transmission du savoir-faire et du génie populaire. Le chiffre officiel, donné en 2010, de 162 000 artisans détenteurs de registre de commerce à l’échelle du pays, risque de subir une grave régression dans un climat d’activité pour le moins défavorable à l’activité artisanale. Même le parcimonieux Fonds de la promotion de l’artisanat traditionnel a été gelé par le ministère de tutelle depuis quatre ans. Sa réactivation intervient au moment où la corporation perd ses repères, fait face à d’insurmontables difficultés d’approvisionnement en matière première ou en produits semi-finis, aux surcoûts générés par de multiples facteurs de l’environnement économique, et à l’inertie sur le plan de la commercialisation. L’objectif visé par les assises de Tizi-Ouzou, organisées par l’APW conjointement avec la direction du Tourisme et de l’Artisanat de la wilaya et la Chambre des métiers et de l’artisanat, est, selon Rabah Ghedouchi, directeur du Tourisme et de l’Artisanat de la wilaya, de «mettre en contact les artisans pour leur permettre de se concerter et de débattre de leurs préoccupations et des moyens de leur prise en charge, en vue de déblayer le terrain au développement de l’artisanat dans la multitude de ses créneaux et facettes». L’on sait que, malgré la modestie de sa superficie, la Kabylie abrite la plus grande densité d’artisans tenant à perpétuer un métier ancestral, généralement assuré de père en fils ou de mère en fille. Il s’agit aussi, à travers ce métier, de transmettre les valeurs reçues et d’en faire une ligne de conduite perpétuelle: valeurs du travail, valeurs esthétiques et valeurs morales. La spécificité de l’artisanat par rapport aux autres activités qui ont rejoint les étapes de la manufacture et de l’industrie, est que les personnes qui y sont impliquées développent un savoir-faire ancestral, avec leurs propres mains, en plus de moyens manuels rudimentaires. L’Unesco donne la définition suivante des produits d’artisanat : « On entend par produits artisanaux les produits fabriqués par des artisans, soit entièrement à la main, soit à l’aide d’outils à main ou même de moyens mécaniques, pourvu que la contribution manuelle directe de l’artisan demeure la composante la plus importante du produit fini… La nature spéciale des produits artisanaux se fonde sur leurs caractères distinctifs, lesquels peuvent être utilitaires, esthétiques, artistiques, créatifs, culturels, décoratifs, fonctionnels, traditionnels, symboliques et importants d’un point de vue religieux ou social». Outre la fonction culturelle et mémorielle qu’elle assure, l’activité artisanale fait partie aussi de l’économie familiale, complément essentiel du reste de l’appareil économique national. À ce titre, l’artisanat est surtout positionné dans le segment touristique auquel il confère une partie de sa raison d’être. Le tourisme a besoin de sa matière première, celle qui motive le déplacement des visiteurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Les produits d’artisanat, à côté des sites et monuments culturels et historiques, des sites naturels, constituent une partie de cette matière première. L’expression « ramener un souvenir » d’un pays quelconque signifie d’abord acheter un produit d’artisanat de ce pays, car les autres produits culturels (statuettes, objets historiques, sont interdits de cession). L’état actuel de l’activité artisanale dans notre pays permet-elle de faire face à un tel besoin? Rien n’est moins sûr. Les Algériens en sont même réduits à consommer des produits de « faux artisanat » venant de Chine, de Malaisie ou d’autres pays, opération permise par l’importation inconsidérée à laquelle s’est livré notre pays depuis une dizaine d’années. L’on a même assisté au remplacement des nattes d’alfa, fabriqués avec art et doigté par les artisans de la région steppique, par des nattes en produit synthétique (plastique) venu d’Orient. Ces ersatz d’artisanat sont venus encombrer les étalages de nos magasins, saler davantage la facture d’importation et mettre en difficultés les producteurs traditionnels algériens, que ce soit dans le domaine de l’orfèvrerie, de la vannerie ou dans d’autres activités que nos ancêtres ont maîtrisées à la perfection. Aujourd’hui, le défi est de relancer l’artisanat, aussi bien pour, perpétuer une mémoire et une culture connues pour leur richesse, que pour asseoir les bases d’une économie familiale productrice de richesses et d’emplois.

 A. N. M.

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