Du brainstorming à la feuille de route

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Par Amar Naït Messaoud

Le secteur de la communication, tout en connaissant des avancées remarquables en matière de réalisations et d’accès aux nouvelles technologies, demeure indiscutablement l’un des moins stables sur le plan institutionnel. Que l’on en juge: depuis 2007, ce département ministériel, qui était demeuré un certain moment, sans titulaire, a vu passer 5 responsables, Hamid Grine, désigné il y a quelques semaines dans le gouvernement de Abdelmalek Sellal, étant le sixième. Hachemi Djiar, Abderrazak Boukerzaza, Azeddine Mihoubi, Mohand Saïd Oubelaïd et Abdelkader Messahel, chacun de ces responsables du département de la Communication, tout en n’ayant pas bénéficié du temps nécessaire pour développer et mettre en œuvre une politique de communication dans ses différentes déclinaisons (presse écrite, audio-visuelle, sites web), a essayé d’apporter sa touche dans un créneau où le monde est en perpétuelle et rapide transformation. En effet, si les enjeux du milieu des années 2000 consistaient à étendre l’aire de la liberté d’expression et de baliser les voies d’une déontologie consensuelle du métier de la presse, les défis actuels sont autrement plus complexes, intégrant l’ouverture sur l’audiovisuel privé qu’il convient d’encadrer par les textes juridiques dans un contexte d’une forme de « fait accompli », avec plus d’une dizaines de chaînes TV, et intégrant également les nouveaux supports de l’information que sont les sites internet. L’ancien ministre du secteur, Hachemi Djiar, avait innové dans ses contacts avec les professionnels de la presse, lorsque, pour enclencher un débat sur le métier d’informer, il lançait ce qu’il appelait un « brainstorming », sorte de remue-méninges consistant à débattre à bâtons rompus de toutes les questions qui se présentent immédiatement à l’esprit. L’ordre des idées ne sera sollicité et mis en œuvre que plus tard, lorsque l’entrechoquement révèle le désordre et les incongruités. À chaque regroupement avec la presse, ces brainstormings étaient attendus et bien animés, même si, à un point du parcours, le ministre constatera que  » l’horizon de la pensée démocratique tarde à se dégager », suite à un article paru dans un journal et jugé comme une « offense » au président de la République, lors d’un sommet du Nepad à Alger. Il ajoutera, à ce propos : « Il est profondément triste de voir que certains de nos intellectuels, par exemple, mettent leur talent à tisser des calomnies, à diffamer et à entretenir le doute au nom de la liberté d´expression ». Depuis, les questions de ce genre n’ont pas encore trouvé leurs solutions, sachant que le Conseil de déontologie tarde à voir le jour, comme d’ailleurs l’Autorité de régulation afférente à l’audiovisuel. Il y a même des sous thèmes dont l’étude relève d’un grand débat et d’études, à l’image de ces concepts d’ « intellectuel » et d’ « élite », galvaudés et malmenés dans leur sémantique.  Quant à la liberté d’expression, fêtée mondialement chaque année le 3 mai, et à laquelle l’Algérie a ajouté la journée nationale, le 22 octobre, à partir de 2013, elle constitue assurément l’un des fondements de la démocratie. L’Algérie fait son chemin, graduellement, depuis la fondation des premiers journaux indépendants, en 1990, vers ce noble idéal. Dans une espèce de précipitation et de confusion, plusieurs chaînes de télévision privées se sont mises à émettre sur le satellite à destination du public algérien. Le gouvernement a produit une loi sur l’audiovisuel, en janvier 2013, censée encadrer ces chaînes, tout en donnant des titres d’agrément provisoire pour certaines d’entre-elles. Le nouveau ministre de la Communication, Hamid Grine, a fixé ses ambitions pour le secteur en un seul mot: la professionnalisation. En effet, tous les cafouillages et les errements vécus par le secteur de la communication, depuis des années, peuvent être expliqués par l’absence ou le déficit de professionnalisme, un constat qui accable aussi bien les pouvoirs publics que les entreprises de presse, les deux parties ayant des responsabilités claires dans ce domaine. Avec un capital expérience de 24 ans, pour la presse écrite indépendante, du moins pour les premiers titres charriés par cette « aventure intellectuelle », la presse algérienne est sans doute mûre pour aborder son bilan et, de là à se projeter dans une perspective de perfectionnement et de développement. Elle est appelée à asseoir les règles du savoir-vivre, de tolérance et de bienséance, qui serviront de base à l’instance déontologique dont on parle depuis longtemps, mais qui n’arrive pas à voir le jour. Cette même presse, et avec elle les autres médias audiovisuels et numériques, gagnera à professionnaliser son métier, à travers ses recrutements, ses modes de rémunération et de gestion, et l’élaboration de son contenu à travers les règles universelles d’objectivité et de distinction entre l’information et le commentaire. Le professionnalisme, aussi, est la tendance à la spécialisation des journalistes afin de pouvoir fournir un contenu de qualité et qui répond à un souci de concordance et d’esprit de suite, qui concourt à la formation de l’opinion.  C’est également la formation continue et les stages assurés aux rédacteurs et correspondants, pour les mettre en contacts avec les dernières nouveautés en relation avec leur métier. Le nouveau ministre de la Communication estime, dans une intervention faite la semaine passée à la Radio chaîne III, que « professionnaliser la presse est la finalité de la stratégie du secteur ».  « Ma feuille de route est simple et claire. Elle se résume en un point, à savoir suivre les orientations du président de la République contenues dans son message du 3 mai dernier adressé à la presse (…). Ces orientations se résument en un mot : professionnaliser la presse nationale », dira H. Grine. Ce processus de professionnalisation devra passer par la mise en place des organes de régulation, que sont l' »Autorité de régulation de l’audiovisuel, celle de la presse écrite, mais également le Conseil de l’éthique et de la déontologie ».  « Je vais militer pour l’installation, dans les plus brefs délais, des organes de régulation afin d’arrêter de confondre information et diffamation », promet le ministre, qui estime aussi que le problème de l’accès à l’information sera réglé par l’établissement de la carte de presse.  Cette dernière, d’après H. Grine, « obligera les sources d’information à coopérer avec les journalistes ». La nouvelle stratégie de communication se penchera aussi sur le « nerf de la guerre » qu’est la manne publicitaire. Il ne s’agit pas seulement de revoir le mode de distribution de la publicité étatique via l’ANEP, mais également de se pencher sur la destination de la manne publicitaire, sachant que des injustices salariales et des défauts de déclarations sociales continuent à grever la marche de certaines rédactions. Est-on fondé à espérer une « révolution » dans le quatrième pouvoir en Algérie, de façon à ce qu’il s’insère dans le processus général de démocratisation du pays? 

A. N. M.

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