De Senghor à Bouteflika en passant par Mitterrand

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La francophonie, œuvre humaine, se décline en termes d’espace vivant qui œuvre pour l’avènement d’une société plurielle mais solidaire. Elle affirme “ses valeurs sur la base d’une langue partagée et donne au reste du monde l’exemple d’une diversité dynamique au service d’une aspiration universelle”. Cet extrait du message de M. Abdou Diouf dont la présence à la tête de l’OIF, après celle de Boutros Boutros Ghali l’égyptien, illustre la trans-nationalité de ce gigantesque ensemble, véritable mosaïque de peuples, rappelle la vocation résolument universelle de l’espace francophone. Transcendant l’espace, la religion, la nationalité et le degré de développement, cette organisation regroupe des pays qui ont en commun l’usage de la langue française dont le degré de pénétration et la pratique varient d’une contrée à une autre. On passe ainsi de pays qui en ont fait un véhicule officiel à ceux dont seule une élite en fait usage. La francophonie est un espace physique et culturel toujours plus ouvert et décloisonné, un cercle de concertation doté d’un programme d’action qui lui est propre.Un temps décriée et présentée comme un prolongement du colonialisme, le néo-colonialisme pour reprendre le vocable propre à l’époque, surtout après les aventures africaines de la France sous l’ère Foccard (Shaba 1 et 2, l’épisode burlesque Bokassa 1er et dernier). La francophonie a repris depuis du poil de la bête, recrutant de plus en plus de pays et de locuteurs dans le monde. Il ne se passe pratiquement pas d’année sans que soient enregistrées plusieurs adhésions. Et le cadre déborde largement les frontières des ex-AOF et AEF, grands ensembles de colonies françaises en Afrique. Pays anglophones, pays de l’Est, asiatiques, arabes font partie des nouveaux adhérents. Rappelons que notre pays, passant outre les tabous érigés par les partisans du “tout oriental”, a participé d’abord le 17 octobre 2002 au 9e sommet de Beyrouth, puis en 2004, à celui de Ougadougou (Burkina Faso) en tant qu’observateur. Saluée par la présidence française, la participation du président Bouteflika à la réunion de Beyrouth constitue une première dans ce qui fut une longue brouille, où les deux parties s’ignoraient superbement. Même si certains cercles ont tenu à en minimiser la portée, la qualifiant de geste de courtoisie !De l’avis d’observateurs, l’Algérie a tout à gagner en mettant fin à sa politique de la chaise vide. D’abord sur le plan économique où à l’instar de plus d’une quarantaine de pays africains qui ont vu leurs dettes vis-à-vis de la France purement et simplement annulées, l’Algérie pourra ainsi mieux négocier, à défaut d’un effacement, la reconversion d’une grande parte de sa dette en investissements. Ensuite, sur le plan socio-culturel, du fait même de l’importance de la maîtrise de la langue française par un grand nombre de nationaux, le pays devra bénéficier de l’aide et du savoir-faire français. Il s’agit en fait de renforcer et de conférer un caractère officiel à ce qui existe déjà, notamment en matière d’aide à la culture. Ce dont profitent déjà largement par exemple nos cinéastes. Parmi les conquêtes majeures de la francophonie, sa vitalité non seulement en Afrique post-coloniale, terrain naturel, mais aux quatre coins du monde. Mieux, le français, promu langue officielle dans la plupart des Etats africains, a servi de liant à des pays où la profusion des langues concourait naturellement à des affrontements pour une question de leadership. La Côte d’Ivoire affiche ainsi près d’une centaine de langues vernaculaires et le Zaïre 200 ! En Afrique après l’indépendance politique et après les tentatives d’indépendance économique, une troisième étape s’est présentée : la libération culturelle. Mis à part l’Egypte et les pays du Maghreb où il est fait massivement usage de l’arabe, la libération culturelle s’est trouvée étroitement liée au problème des langues. Même si l’on occulte l’existence, des milliers de dialectes dont certains ne sont parlés que par quelques centaines d’individus, les quelques 600 langues parlées représentent par leur seul nombre un obstacle insurmontable à la libération culturelle. Le choix du français s’est imposé de lui-même notamment dans l’enneigement.L’histoire retiendra enfin que le dramatique conflit du Biafra a fait un million de morts. La riche province du Biafra, peuplée essentiellement d’Ibos, voulait on s’en souvient, se séparer du pays et les considérations ethniques n’étaient certes pas étrangères à ce choix suicidaire qui a bien vite tourné au cauchemar.Certains visionnaires africains, dans leurs projections prospectives, n’ont certes pas prédit la tournure actuelle des choses, caractérisée par la prééminence de la langue de l’ancien colon. Dans leurs rêves d’unité, ils ont même fixé les règles linguistiques à adopter à travers la sélection de 5 langues : l’arabe, le bambara, le maoussa, le lingola et le swahili. Une pour chaque grand bloc de population.Presqu’un demi-siècle après ces prophètes de ces idées généreuses, il n’en reste presque rien…Qu’il est loin le temps où le français était perçu comme butin de guerre où comme une femme illégitime à laquelle il est loisible à tout un chacun de faire des bâtards !La francophonie pourra-t-elle résister et prospérer dans un contexte de mondialisation-globalisation marqué par le choix de l’anglais comme langue dominante ? Là est le véritable enjeu de cet ensemble ! Il n y va aussi et surtout de sa survie et de celle de la langue de Proust.

Mustapha R.

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