Un rempart contre les invasions cultuelles

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Par S. Ait Hamouda

Parler du rôle des Zaouïas, aujourd’hui, serait à bien des égards laborieux, d’une part pour des raisons évidentes de suspicions politiciennes et d’autre part, par soucis de snobisme. Cependant, on se doit de reconnaître leur implication acharnée dans la résistance à l’envahisseur français dès 1830. Les Rahmania, Kadiriya, Chadhouliya et tant d’autres, ont organisé et dirigé la lutte contre le colonialisme à l’échelle nationale. Cheikh Aheddad, El Mokrani, Fadhma N’Soumer, l’Emir Abdelkader, Ouled Sidi Cheikh, Sidi Lakhdar Benkhlouf le poète résistant, sont autant de preuves, comme le souligne l’universitaire algérien Saïd Djabelkheir, de leur implication tous azimuts dans la préservation de l’identité algérienne :  «Hormis certains cas préfabriqués, les Zaouïas ont été de véritables remparts contre les entreprises d’occupation et de déculturation des peuples». Ainsi, en plus de leur rôle dans l’enseignement religieux, les Zaouïas ont joué des rôles politiques, culturels, sociaux et même urbanistiques. Pour la Kabylie, la Zaouïa Rahmania, du nom de son fondateur Sidi M’hamed Ben Abderahmane dit Ibn Youcef Al Idrissi Al Hassani Ezzouaoui Al Azhari ou M’hamed Ben Abderahmane Ben Ahmed El Guejdouli El Djerdjeri Al Azhari, surnommé Sidi M’hamed bouqobrain, issu des Ath Smaïl dans la région de Boghni, né vers 1720, était celle qui comptait le plus d’adeptes en Algérie, puis dans tout le Maghreb, pour s’étendre par la suite à l’Afrique et au Moyen Orient. Sidi M’hamed meurt vers 1793. Son Moqadem, le chef de ladite confrérie à l’époque de l’occupation  française était Mohand Ameziane Aheddad (1790-1873). Il est né à Sedouk Oufella. Le 8 avril 1871, à l’âge de 80 ans, il appela, s’appuyant sur les épaules de ses deux fils, à la résistance, lors d’un rassemblement au souk de M’Cisna (Aujourd’hui Seddouk) en ces termes : « Le Français est là nous devons le combattre. Nous n’avons pas d’autre choix. L’heure est arrivée pour nous de nous débarrasser de ceux qui veulent semer dans nos rangs la division et la haine… Il n’y a que les lâches qui hésiteront. Unissez-vous pour combattre ceux qui ont osé porter atteinte à l’honneur de notre pays. Nous devons dépasser les luttes intestines et les calculs mesquins, car la question est d’une extrême urgence… Soyez vigilants avec les amis de la France, coupables d’injustices sur le peuple… Combattez-les étant donné qu’ils seront à l’avant-garde des Français pour nous écraser. Evitez de piller, de brûler ou de commettre des dépassements, cela nous nuira. N’ayez pas peur, mais armez-vous de foi et de bravoure, soyez prêts à mourir. Avec l’aide d’Allah, Le Tout-puissant et la bénédiction de notre prophète Mohamed, nous jetterons les Français à la mer qu’ils avaient emprunté comme je jette ma canne à terre » (Extrait de Battache Ali, Aperçu historique de la Kabylie. La vie de Cheikh El Haddad et l’insurrection de 1871, Editions Amel)

Le retour du cheikh Aheddad à Sedouk

Il meurt en détention, le 29 avril 1873. Il fut enterré à Constantine et ce n’est que le 3 juillet 2009 que la ré inhumation de ces cendres et celle de ses deux fils, Aziz et M’Hand, eut lieu à Seddouk Oufella, comme il l’avait souhaité avant sa mort. Larbi Bettar, qui en a fait le portrait  dans un livre intitulé Cheikh Aheddad en parle ainsi, dans un entretien accordé à Rachid Mokhtari dans « L’Est Républicain » : « Beaucoup d’auteurs ont écrit sur la révolution de 1871 et la plupart présentent Cheikh Aheddad comme étant un grand guerrier, alors qu’il ne l’a jamais été. Cheikh Aheddad avait 81 ans et était, de surcroît, malade quand il avait lancé un appel au djihad. Homme charismatique, il avait le mérite de mobiliser les masses paysannes qui s’étaient soulevées contre l’invasion coloniale. Néanmoins, c’étaient ses deux fils, Aziz et M’hand, qui ont mené l’insurrection d’avril 1871 aux côtés des Mokrani. Pour bien éclaircir les choses, Cheikh Aheddad était un homme érudit, qui avait suivi un cursus scolaire qui l’avait conduit à devenir un génie à son époque. C’était un homme d’une grande culture. Il était aussi fier de sa région d’Amdoun n’Seddouk, où chaque coin et recoin porte une histoire, dont celle qu’il a façonnée lui-même. Elevé dans une famille de modestes paysans, qui ont dépensé toutes leurs économies, vendant même des parcelles de terre, pour que leur fils fréquente de grandes écoles et fasse de hautes études. Un pari réussi, du fait que Cheikh Aheddad, en aiguisant son intelligence, a acquis une déférence qui a fait de lui une sommité. C’était un homme hors du commun, respecté et écouté notamment quand il a été à la tête de la Tariqa Rahmania où il gérait une centaine de zaouïas réparties à travers le pays. Pour illustrer toutes ces vertus d’un homme qui a passé sa vie à cultiver le savoir, qui constituera inéluctablement un repère pour les générations montantes, soucieuses  de connaître l’histoire de leur pays et les leaders qui les ont façonnées, j’ai jugé utile d’écrire un livre sur son portrait et celui de la région où il naquit et vécut (…) » Que pourront faire les Zaouïas aujourd’hui Que peut-on dire, aujourd’hui, du rôle que jouent ou que pourraient jouer les Zaouïas, en dehors de celui qui est naturellement le-leur depuis de siècles, ayant trait au cultuel, au social, au règlement des conflits entres les individus, à l’enseignement des sciences islamiques dans notre pays, étant donné la prolifération des menaces dogmatiques contre l’Islam algérien ? On parle de conquête, en bonne et due forme, du wahabisme, du salafisme, du chiisme, et de tout un tas de prédications infernales étrangères à notre culture, à nos coutumes, à nos croyances et dont la mission essentielle consiste à formater les algériens en changeant leurs habitudes comportementales, vestimentaires, alimentaires, culturelles, festives, funéraires… ce qui revient à lobotomiser littéralement, à la longue,  l’« homo-algérianus », en l’isolant de sa culture originelle pour en faire un être sans curiosité intellectuelle et culturelle, sans joie ni peine, abhorrant la beauté le goût pour les bonnes choses, la modernité… en un mot, la vie tout court. Il est certes une urgence signalée et cette urgence exige une réaction à la mesure du danger, de la part des gérants du culte, là où ils se trouvent, dans les Zaouïas, les mosquées, les écoles, les associations religieuses.

S.A.H.

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