Un écrivain turc persécuté

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L’écrivain turc Orhan Pamuk, qui doit être jugé vendredi, culmine en tête des ventes dans son pays avec des oeuvres décrivant les déchirements de la société turque entre Orient et Occident. Il est aussi, de par ses prises de position, une source d’embarras pour Ankara.L’auteur, qui à 53 ans accumule les prix littéraires à l’étranger, s’est vu qualifié de renégat par ses détracteurs en Turquie pour ses déclarations sur des sujets longtemps restés tabous. « Un million d’Arméniens et 30.000 Kurdes ont été tués sur ces terres, mais personne d’autre que moi n’ose le dire », a-t-il affirmé en février dans un hebdomadaire suisse. Ses propos ont suscité une prompte réaction de la justice turque, qui l’a poursuivi pour « insulte ouverte à la nation turque », un crime passible de six mois à trois ans de prison.Pour ses critiques, Orhan Pamuk a délibérément sacrifié les intérêts nationaux sur l’autel de ses vanités avec ces remarques faisant référence aux massacres d’Arméniens commis sous l’empire ottoman et au conflit opposant Ankara à sa minorité kurde.Ont suivi des menaces de mort et l’ordre, dans une province de l’ouest de la Turquie, de brûler les livres de l’écrivain, une injonction ensuite retirée sous la pression du gouvernement, désireux de ne pas ternir son image avant le lancement, le 4 octobre, des négociations d’adhésion à l’Union européenne.Partagé entre ses positions dissidentes et son désir de voir son pays rejoindre l’UE, Orhan Pamuk se désespère de voir son propre procès tranformé en un jugement de la Turquie par les nombreux opposants à l’entrée d’Ankara dans le bloc européen. »Je soutiens la candidature de la Turquie à l’adhésion à l’UE (…) mais je ne peux pas dire à ces adversaires de la Turquie : “ce n’est pas vos affaires s’ils me jugent ou pas” (…) Du coup, je me sens coincé au milieu. C’est un fardeau », a-t-il déclaré dans un récent entretien. Les efforts séculaires de la Turquie pour s’intégrer à l’Europe et les déchirements souvent douloureux, tant pour la société que pour les individus, que ce mouvement à marche forcée vers l’Ouest a induits sont au coeur de l’œuvre de Pamuk.

Qui est Orhan Pamuk ?Né en 1952 dans une famille aisée et occidentalisée d’Istanbul, l’écrivain a abandonné à l’âge de 23 ans des études en architecture pour s’enfermer dans son appartement et se consacrer à la littérature. Sept ans plus tard était publié son premier roman, « Cevdet Bey et ses Fils ». En dépit des controverses qu’il a suscitées, Pamuk n’intervient que rarement sur la scène publique, préférant le désordre enfumé de son bureau stambouliote aux projecteurs des plateaux de télévision.Portant généralement un tee-shirt et une veste, dans une attitude quelque peu enfantine qui contraste avec ses cheveux grisonnants, il capte l’attention par son élocution et ses incessantes gesticulations. Orhan Pamuk a commencé à s’attirer les foudres de l’Etat au milieu des années 1990 en dénonçant le traitement infligé à la minorité kurde de Turquie, l’armée réprimant alors d’une main de fer une insurrection séparatiste sanglante dans le sud-est anatolien.L’irritation de ses détracteurs est montée d’un cran après son refus, en 1998, d’accepter le titre d' »artiste d’Etat ». Il était alors déjà devenu l’écrivain numéro 1 en Turquie avec des ventes records et son sixième roman, « Mon Nom est Rouge », allait sous peu lui ouvrir les portes de la célébrité internationale. Mentionné cette année comme un lauréat potentiel du prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk a vu ses livres (« Cevdet Bey et ses Fils » (1982), « La Maison du Silence » (1983), « Le Château Blanc » (1985), « Le Livre Noir » (1990), « La Vie Nouvelle » (1994), « Mon Nom est Rouge » (1998), « Neige » (2002) et « Istanbul » (2003)) traduits en 32 langues.Père d’une adolescente, il est divorcé.

Synthèse: A. M./ A.F.P

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