L’art de remuer les foules

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La salle où il venait de donner jeudi soir son premier concert de l’année se vidait. Les portes se refermaient. Dans le salon d’honneur, l’orchestre rangeait ses instruments. Le silence reprenait possession des lieux. Dehors, l’épouse de l’artiste qui a assisté au spectacle attendait dans la voiture. Un compatriote le rappela à l’artiste pour montrer qu’il était tard et que l’entretien, s’il devait absolument avoir lieu, allait être bref. Mais Mesbah Mohamed Ameziane a trop d’élégance pour nous planter là. Il était disposé à répondre à toutes nos questions à condition d’aller à l’essentiel. Nous avions assisté à tout le spectacle, ce soir-là. Les cinq chansons qu’il a interprétées avaient soulevé l’enthousiasme de la foule et fait danser les jeunes dans les quatre coins de la salle. La musique était belle et les paroles produisaient une forte impression, car elles traitaient de ces thématiques chères à la jeunesse, comme l’immigration, l’enfance etc. D’ailleurs, nous avons vu qu’entre deux chansons, le chanteur s’adressait familièrement à des personnes qu’il appelait par leurs noms, interrogeaient les élèves sur leurs examens… La popularité de notre artiste est bien établie… Il a du talent, et guitare en mains, il l’a prouvé une fois encore… D’ailleurs cette voix qui s’exprime depuis 1980, année où débute la carrière artistique du jeune Mohamed Ameziane, s’appuie sur une expérience et un succès qui ne se sont jamais démentis. Deux ans après ses premiers pas dans la chanson, des titres comme Guitariou (Ma guitare), Tassarout (Ma clef), Zine Ghbar reprises aujourd’hui par d’autres artistes, comme Kamel Chenane, nous confiait-il, font encore fureur. La preuve: ils l’ont vigoureusement propulsé vers la voie de la réussite artistique… Sollicité de tous les côtés, notre jeune prodige donnait d’abord sa préférence à la radio. A la chaîne II, 29 de ses chansons passaient en boucle. Comme, d’autre part, sa vie artistique ne se limite pas depuis vingt-cinq ans à l’Algérie et à son village d’Al Ksar, le contraire serait absurde, l’artiste, comme l’art auquel il s’adonne, n’ayant pas de frontières, on le retrouve autant dans son pays qu’en France. Dans l’Hexagone, il animait des émissions radiophoniques consacrées aux chansons, dans trois villes : Marseille (Radio Gazelle), à Lyon (Radio Trait d’Union), Rouen (Radio Figue). C’est en France, cependant, qu’il a côtoyé les grandes figures de la chanson Kabyle comme Yahiatène ou Matoub, et « plein d’autres » encore, comme il nous l’affirmait modestement. Quel souvenir gardait-il, donc, du plus populaire des chantres kabyles, quelques mois avant son assassinat ? Ces paroles brèves alors qu’ils se trouvaient tous deux en France. « Rendez-vous chez da Mouh ». Da Mouh tenait un restaurant à Tizi où tous les artistes se donnaient rendez-vous  pour déjeuner ou diner. Le grand Matoub ne faisait pas d’entorse à ce qui était devenu une habitude bien ancrée dans les mœurs artistiques de la région. On comprend qu’au contact de tous ces maîtres de la chanson kabyle, son répertoire n’ait fait que s’enrichir. S’il dit devoir beaucoup à Chérif Khedam, dont il parle avec respect et admiration, aujourd’hui son art, se dégageant des influences trop visibles des premières années, trace à travers le patrimoine musical fort imposant, son propre sillon. Le sixième album est déjà prêt, et sortira en août prochain, en France. Au niveau local, l’inusable chanteur se produira prochainement à Tizi-Ouzou et à Béjaïa où il a encore son public. Son plus beau souvenir ? Le jour où, en 1980, la commission, chargée de découvrir les jeunes talents, présidée par ce Chérif Khedam, sur le compte duquel, il ne tarissait pas d’éloges, le repérait et le retenait parmi tant de candidats. Son souhait ? Que l’Algérie se porte bien.

Aziz Bey

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