Tamazight est-elle une langue nationale ?

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“Dix ans de tamazight di lakul” est le thème de deux journées d’étude organisées, jeudi et vendredi à Zéralda, par le Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight. De nombreux universitaires ont pris part à cette rencontre, à laquelle ont également assisté deux représentants du ministère de l’Education nationale.Le Dr Abderrezak Dourari, directeur du centre, a été le premier à intervenir pour dire que dix ans d’enseignement de tamazight est une période assez longue pour commencer à réfléchir sérieusement sur cette expérience. Pour Dourari, “il faut se poser des questions sur l’état de la langue”. L’orateur a rappelé que lorsque tamazight avait été introduite dans le système éducatif, plusieurs observateurs pensaient que ceci allait être une entreprise facile. L’objet de ces journées d’étude a été de déterminer les perspectives, non pas politiques, mais scientifiques qui devraient s’offrir à l’enseignement de tamazight. Dès lors que l’Etat algérien a fini par reconnaître que l’Algérie est un pays plurilinguiste, il faudrait ébaucher une vision d’une politique linguistique afin de prendre en charge cette diversité. Abderrezak Dourari a expliqué que “ces journées rentrent dans le cadre de la préparation du colloque international sur l’enseignement de tamazight qui aura lieu en 2006 avec la participation de chercheurs d’universités étrangères. Nous voulons profiter de leur savoir dans l’aménagement de la langue dans la mesure où ils sont moins impliqués subjectivement dans la langue amazighe comme c’est notre cas, ceci permettra d’obtenir suffisamment de données d’une manière objective pour poser les jalons de l’aménagement de tamazight”. L’intervenant a rappelé que les opinions sont différentes, mais il faudrait s’accepter mutuellement.Dourari a souligné que le centre qu’il dirige a été créé suite au décret 03/479 du 2 décembre 2003. Un tel centre, vu les missions qui lui sont dévolues, nécessite un encadrement de recherche de très haut niveau. Le centre aura deux pôles, l’un administratif et l’autre académique. Ce dernier sera constitué de cinq directions : la direction de l’aménagement linguistique, la direction de la pédagogie et de la didactique, la direction des langues maternelles, la direction de la littérature, culture, civilisation et patrimoine et une direction communication et édition. Plusieurs antennes seront ouvertes dans les quatre coins du pays. Dourari a estimé que le centre doit impérativement faire de l’édition pour permettre de rendre visible et lisible la politique de réaménagement.Mohamed Lakhdar Maougal a rappelé que le centre est sous la tutelle du ministère de l’Education et travaillera avec des partenaires, notamment des instituts de tamazight et de Bgayet ainsi que l’ancien centre de Tlemcen. Pour Maougal, il s’agira d’abord de se pencher sur l’expérience de l’enseignement de tamazight menée depuis 1995 par le ministère de l’Education nationale. “Nous œuvrons à répondre aux difficultés rencontrées par les enseignants sur le terrain, au contact des concernés. Il s’agira aussi de déterminer les raisons qui ont fait que cet enseignement ait réussi dans certaines régions et échoué dans d’autres”, a ajouté cet universitaire.M. Adel, cadre au ministère de l’Education nationale, a souligné que le ministère a décidé d’introduire l’enseignement de tamazight en 4e année primaire. M. Harrouche, du même ministère, a abondé dans le même sens en communiquant l’information selon laquelle cette année, tamazight sera intégrée dans l’épreuve du BEF.Mohand Oulhadj Laceb du HCA, dans son allocution, a précisé que le HCA a été marginalisé dès sa création. Il a reconnu que l’enseignement se fait dans le bricolage et ceci est dû, selon lui, au manque de moyens. Aucun enseignant de tamazight n’a été formé par le ministère de l’Education. Ce ministère a ouvert un institut de formation d’enseignants de tamazight à Ben Aknoun. Le fait que cet enseignement soit optionnel a été déploré par M. Laceb qui sera relayé par Mme Chérifa Bilek (HCA). Cette dernière a souligné que leur institution a lancé des stages de formation au profit des enseignants. Elle a déploré le manque de communication entre les différentes parties impliquées dans le travail. Elle a proposé l’ouverture d’un département de tamazight à Alger, car en dehors de Tizi Ouzou et Bgayet, il n’y a pas de réservoir de licenciés dans ce domaine dans les autres régions du pays.Moussa Imarazène, chef du département de langue et culture amazigh de l’université de Tizi Ouzou a indiqué que chaque année, deux cent licenciés en tamazight sont formés à Tizi Ouzou. Nadia Berdous du même département insistera sur la nécessité d’impliquer les enseignants dans les travaux du centre car ils sont les premiers concernés. Mohand Akli Haddadou relèvera que toutes les situations relevées lors de cette rencontre sont des situations kabyles. “Je me pose alors une question : tamazight est-elle une langue nationale ? Si c’est oui, il faudrait la prendre dans toutes ses dimensions. Pourquoi tamazight n’est enseignée qu’à Tizi Ouzou et Bgayet ? Je ne comprends pas. S’il n’existe actuellement que l’enseignement de la variante kabyle, pourquoi ne pas transférer le centre de Ben Aknoun vers Tizi Ouzou ?”, s’interrogera M. Haddadou qui se demandera quelle en est la situation au pays chaoui, chez les Touaregs et au M’zab.Mohand Akli Salhi dira que l’enseignement de tamazight n’est pas l’affaire des institutions seulement, mais il concerne la société.Mohand Ouamar Oussalem rapportera que la majorité des manuels et des cours en tamazight sont transcrits dans la variante kabyle. Oussalem dira toutefois que, concernant l’enseignement de tamazight, un pas important a été franchi et il ouvre la porte à des dynamiques positives. Il a parlé des problèmes administratifs sur lesquels butent les enseignants de tamazight dont certains ne perçoivent pas de salaires.Les deux représentants des Aurès, Ounissi Mohand Salah et Djellal Tayeb, ont parlé de la situation aux Aurès. A Batna, l’enseignement de tamazight a repris cette année après quatre ans d’interruption. Les intervenants ont affirmé qu’ils sont confrontés à un sérieux problème : le manque de livres dans la variante chaouie.Benali Mohamed Rachid de l’université d’Oran a souligné que l’enseignement de tamazight n’existe plus à Oran, alors que cette langue était enseignée auparavant aux lycées Lotfi et Ibn-Badis. Il a toutefois mis en valeur le rôle joué par l’association “Numidia” qui dispense des cours de langue amazighe. Saliha Ibri du département de Tizi Ouzou a rappelé les étapes traversées depuis des années jusqu’à parvenir à avoir des manuels de tamazight (ceux utilisés actuellement), digne de ce nom.Malika Sabri a déploré le problème des étudiants chaouis qui étudient dans le département de la langue et culture amazighe de Tizi Ouzou, qui ne comprennent pas la variante kabyle. La deuxième journée a été consacrée aux problèmes concrets que rencontre l’enseignement de tamazight. Toutes les interventions étaient purement scientifiques.

Aomar Mohellebi

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