Le citoyen entre le marteau et l’enclume

Partager

Passer l’Aïd El Adha sans le mouton et oser ainsi déroger à la règle du sacré rituel relève de l’intolérable pour les enfants en particulier. Ils attendent depuis des semaines pour ne pas dire depuis l’Aïd El Fitr le jour où le papa reviendra à la maison en compagnie de la fameuse bête. Malheureusement les temps ne sont plus ce qu’ils étaient et pouvoir se permettre une si grande offrande à sa progéniture n’est plus à la portée du simple salarié et encore moins du travailleur remercié après la fermeture de l’entreprise qui faisait vivre sa famille. Le mouton de l’Aïd devient pour ainsi dire, au gré des retombées économiques, de la dévaluation du dinar et la cherté de la vie, un luxe difficilement accessible pour des pans entiers de notre société. L’Algérien est pris de fait entre l’enclume et le marteau, ne sachant à quel saint se vouer pour accomplir son devoir religieux et satisfaire par là-même le désir des bambins qui, eux, ne sauraient mesurer l’ampleur de la gêne ni des désagréments que subit le chef de famille pour un tel sacrifice. “C’est la deuxième année consécutive que j’ai arrêté d’offrir à ma petite famille le mouton de l’Aïd. Son prix devient exorbitant. Il va de soi que cela constitue une difficile privation et un manquement au devoir sacré mais avec un seul salaire, cela est devenu tout à fait impossible”, essaie de justifier Farid enseignant de son état et père de deux enfants. Pourtant, cette année, les prix des moutons à sacrifier ont connu une relative baisse notamment ces deux dernières semaines, affirment plusieurs maquignons rencontrés un peu partout en ville, aux abords des routes et même à l’intérieur des espaces verts transformés à l’occasion en mini-souk où l’on peut vendre et acheter des bêtes du matin au soir. “On peut avoir un mouton de taille moyenne pour 18 à 20.000 dinars”, affirme un marchand d’un certain âge.Ceux qui sont censés débourser le prix, par contre, ne sont pas du tout du même avis et voient en ces marchands de bestiaux de véritables suceurs de sang, eux qui ne ratent pas ce genre d’aubaine pour se faire remplir les poches.A l’approche du jour “J”, les rémouleurs deviennent de plus en plus nombreux et s’activent à l’affûtage des instruments devant servir au sacrifice de la bête. Au abords des marchés les affûteurs de circonstance envahissent de longs espaces en s’installant l’un à côté de l’autre. A l’intérieur des marchés ce sont d’autres “rémouleurs” qui se tiennent derrière les étals pour saigner à blanc le citoyen qui s’apprête à s’approvisionner pour la circonstance. Ces jours-ci, et comme par enchantement, les prix des fruits et légumes ont connu eux aussi une envolée.Les courgettes à 100 DA et les navets à 30 DA ! Qui dit mieux ?… Et dire qu’on est à quelques jours seulement de l’événement sacré.Loin des marchés à bestiaux, les artères commerçantes de la ville de Bouira connaissent elles aussi une nouvelle dynamique en cette période de vacances et de fêtes. Suivis le plus souvent d’une armada d’enfants, les parents arpentent les rues, s’arrêtent devant les vitrines exposant habits ou chaussures pour enfants afin d’avoir une idée sur les prix et apprécier le ou les produits convoités. Là aussi, c’est une autre histoire pas fameuse pour les parents qui, dans la majorité des cas, se voient obligé de débourser de grandes sommes sous l’emprise des bambins qu’ils arrivent difficilement à satisfaire.Aussi, bien avant d’espérer passer une fête dans la joie et la gaieté, le citoyen algérien pense d’abord à toutes ces dépenses qui se succèdent au fil de l’année comme la nouvelle année scolaire avec tout ce qu’elle suppose en matière de coûts, le carême durant lequel les gens dépensent déraisonnablement et en fin de compte les deux fêtes religieuses que sont l’Aïd El Fitr et l’Aïd El Adha.Tout compte fait, les pères de famille aux revenus moyens se trouvent forcément dans l’incapacité de faire face aux multiples dépenses qui s’accumulent. Alors penser à acheter le mouton de l’Aïd passe certainement pour la dernière de ses priorités.

Anis S.

Partager