«Les aspects recherche et tradition ont été trop négligés»

Partager

Gana Mammeri, un cousin de Mouloud Mammeri, est pharmacien de formation. Il est également chercheur dans le domaine du patrimoine berbère. On l’a rencontré à l’improviste chez lui à Ath Yenni où il revient, à l’occasion, se ressourcer quand le temps le lui permet.

La Dépêche de Kabylie : Tout d’abord, comment va Gana Mammeri ?

Gana Mammeri : Pour quelqu’un qui revient d’un infarctus, je dirais que ça va beaucoup mieux. Là j’en profite un peu, ici à Ath Yenni, pour me ressourcer. C’est vraiment important, ce voyage dans le temps me retape. Il n’y a qu’un retour sur les pas pour revoir de là où on est parti qui peut vous procurer un tel soulagement.

Votre séjour coïncide avec la Fête du bijou. On imagine que vous n’avez pas raté ça. Vous en pensez quoi ?

Oui, j’ai été par hasard avec un cousin pour voir s’il y aurait quelque chose qui a changé or j’ai trouvé que les stands étaient toujours et tous pareils. En fait, rien n’a vraiment évolué pour enrichir l’événement. Je leur ai, par exemple, demandé lequel est le premier bijou kabyle ? Personne n’a été capable de me répondre. Donc, j’en déduis qu’il n’y a aucune tentation à chercher, à savoir… Et pourtant c’est simple, il suffisait de chercher pour avoir la réponse et la transmettre aux générations futures. Le premier bijou a été ce petit bâtonnet avec lequel la femme se met l’antimoine. En kabyle, on l’appelle Amarwidh. Il existait en bois avant qu’on songe à en faire un bijou en argent. La femme l’utilisait aussi pour tenir fermé les vêtements. Par la suite, on a essayé de le décorer et faire ressortir d’autres bijoux de décorations. Voilà tout est parti de là. On peut faire tout un cours, une conférence, sur le sujet avec pleins de détails mais il n’y a rien de tout cela. Je dirai alors qu’il s’agit là plus d’une foire commerciale que de la Fête du bijou.

Et ça remonte à quelle année ?

Je ne pourrai vous dire ça avec exactitude. Mais ça remonte déjà à l’époque des Ath Yenni, les premiers forgerons qui ont habité cette région. Car avant que ces forgerons en acier ne se spécialisent dans le bijou, auparavant ils étaient des armuriers. Mon oncle Azwaw Mammeri, inspecteur des arts indigènes au Maroc, a laissé des écrits de 1930 où il parlait déjà du bijou berbère. Donc, certainement que ça remonte à encore plus loin dans le temps. J’aurai aimé que cette fête serve justement à pousser un peu plus la recherche dans ce domaine et ne pas se contenter de l’aspect folklorique et commercial. Ça aurait été bien s’il y avait à côté des conférences, une journée d’étude… Mais rien de tout cela. Moi j’habite une région en France où on célèbre la fête de l’âne, eh bien, on en fait un rendez-vous vraiment plein. Certes, il y a cette course classique de l’âne mais elle est agrémentée en parallèle de plein d’activités qui mettent en valeur le produit local et cela étoffe et rajoute au caractère traditionnel que véhicule cette fête. Pour la Fête du bijou, on aurait pu faire beaucoup mieux, au lieu de vendre de la Pizza et du Coca des superettes, on aurait pu penser à vendre des crêpes, du miel, des beignets par exemple qui cadreraient mieux avec la fête. Et puis sur le plan commercial, pourquoi ne fait-on pas en sorte à ce qu’il ait des ventes promotionnelles ? Et pourtant, des réclames de 10%, 20% auraient certainement boosté les ventes mais il n’en est rien. Le prix est le même qu’à Boghni, qu’à Tizi-ouzou, et c’est à regretter, car ça aurait pu vraiment donner une autre dimension à la fête. Mais on se résume à faire la Fête du bijou avec du Coca Cola. C’est comme le barrage Taksebt, on aurait pu faire un grand lieu de loisir et de détente avec une école de plongée, une école pour le pédalo… mais on se contente d’en faire une grande retenue d’eau. C’est dommage.

Ce sont des remarques que vous souhaiteriez transmettre aux organisateurs ?

Disons plutôt que c’est un constat que je fais. Ce n’est pas dans le but d’accabler tel ou tel, mais la conception de cette fête aurait pu être meilleure pour qu’elle reste pleinement dans son contexte traditionnel. Je ne vise personne car je ne les connais même pas, étant donné que je n’habite pas ici. Lors de mon déplacement sur site, j’ai été d’ailleurs en anonyme, je n’ai jamais cherché à me montrer. Sur place, j’ai trouvé qu’ils ont mis sur l’affiche la photo d’une nièce, celle de mon oncle Azwaw qui a crée le musée d’art à Marakech. Et là je dis que c’est bien qu’ils rendent hommage à Melha, la fille à N’na Fatima, qui est donc la sœur d’Azwaw, le peintre des Mammeri, mais à côté y a rien dans cette fête.  

Propos recueillis par Djaffar Chilab.

Partager