Un été “chaud” à Bouira

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D'habitude, le mois d'août est synonyme de vacances, détente et farniente. Les médias, en général, et la presse écrite en particulier, ressortent les bons vieux sujets « bateau », afin de faire face à un déficit de matière.

Cependant, cette première quinzaine du mois d’août a été riche en événements qui ont chamboulé « le train-train » des rédactions et les ont mis sur le qui-vive. À l’échelle de la wilaya de Bouira et outre l’épizootie de la fièvre aphteuse, c’est le front social qui s’est mis en ébullition, prenant tout le monde de court. En effet, la contestation sociale est en Algérie « un marronnier », ce qui signifie dans le jargon journalistique « un sujet récurrent ». Le lecteur y a droit et servit à toutes les sauces, à partir du mois de septembre. Mais cette année, c’est la précocité de cette grogne sociale qui interpelle. Les routes fermées, les sièges des institutions encerclés, les pneus enflammés et autres manifestations de mécontentements sont en soi routiniers. Brève chronique d’une quinzaine houleuse.

L’eau « source » de mécontentement

 

Tout d’abord, il y a eu le problème de l’eau potable. Ce précieux liquide et sa rareté dans les robinets qui ne cesse de faire sortir les citoyens dans la rue. Il est source, sans jeu de mot aucun, d’un mécontentement généralisé. Les milliards engloutis afin de le faire parvenir aux foyers, conjugués aux défaillances des uns et des autres, exaspèrent au plus haut point les citoyens qui se voient restreindre l’accès à cette commodité vitale. Au début de ce mois en cours, les citoyens de plusieurs communes de la wilaya, à l’image de Haïzer, Bechloul et Lakhdaria ont fait montre de leur indignation vis-à-vis de cette situation, jugée grotesque. Ainsi, les habitants du chef-lieu de la commune de Haïzer avaient fermé la RN33 ainsi que le siège de l’ADE locale, dans le but de réclamer une meilleure distribution de « l’or bleu ». « L’eau n’arrive que rarement dans nos robinets et au moment de payer la facture, les agents de l’ADE n’hésitent pas à venir nous couper le compteur au moindre défaut de paiement. C’est un scandale », se sont indignés bon nombre de manifestants. Pour d’autres, la situation qui prévaut à Haïzer est « ridicule », car d’après les contestataires, le réseau d’AEP a fait,  récemment, l’objet d’une complète rénovation, mais les coupures se reproduisent toujours. «Pendant le mois de Ramadhan passé nous avons souffert le martyr ! Nous avons espéré une amélioration de notre alimentation en eau, mais rien ne se pointe à l’horizon pour nous soulager. C’est pour cela que nous avons décidé de manifester aujourd’hui », expliquera un citoyen de la même municipalité. Même topo du côté de Bechloul et Lakhdaria, où les citoyens avaient exprimé leur « ras-le-bol » face à ces coupures d’eau.

L’industrie dans tous ses états

Dans la foulée, c’était au tour des travailleurs des entreprises publiques, ENAD de Sour El Ghozlane et ENAP de Lakhdaria, ainsi que l’entreprise algéro-française COLPA d’Ahnif de monter au créneau. La cause? Des revendications socioprofessionnelles insatisfaites et des conditions de travail jugées indécentes. Pour les travailleurs du groupe industriel des détergents et produits d’entretien (Ex-ENAD), qui ont débrayé puis barricadé la RN08 à l’aide de troncs d’arbres et autres pneus enflammés, la question des salaires était au cœur des débats. En effet, ces ouvriers grévistes se sont dit « contraints » de recourir à la protesta afin d’obliger les responsables de l’entreprise à verser les salaires qu’ils n’ont pas perçu depuis plus de trois mois. « Nos conditions de travail sont lamentables et les retards de paiements sont monnaie courante ! Nous sommes obligés de faire, à chaque fois, grève pour que la situation se débloque. C’est devenu insupportable ! », ont- ils déclaré. Et d’ajouter : « L’Etat a subventionné l’entreprise avec près de 100 milliards de centimes. Mais, à ce jour, l’entreprise est toujours en difficulté à tel point qu’on n’arrive même pas à verser nos salaires dans les délais, y compris durant le mois de Ramadhan et la fête de l’Aïd que nous avions passé sans salaires. C’est inacceptable ! ». Au final, une sortie de crise a été trouvée. Cependant, les travailleurs se sont dits prêts à reprendre le chemin de la contestation, si aucune mesure concrète ne sera prise. Pour ce qui est des travailleurs de l’entreprise nationale des peintures (ENAP), au niveau de la commune de Lakhdaria, ce sont les conditions de travail « exécrables » qui ont poussé les travailleurs à sortir dans la rue. Les revendications du collectif des travailleurs ont trait essentiellement à l’amélioration des conditions de travail, ainsi que l’intégration des travailleurs recrutés dans le cadre du dispositif d’emploi de jeunes et des contrats CDD, CTA et CDI. D’autres revendications ont été soulevées à commencer par l’augmentation des salaires des employés, la mise en place d’un système de rendement, la réouverture de l’unité de restauration de l’usine. Alors qu’à l’usine Colpa, c’est une sombre affaire de licenciement, décrite comme « abusive » par les travailleurs, qui a mis le feu aux poudres. En effet, plus d’une vingtaine de travailleurs sont entrés en grève pour demander la réintégration de deux employés licenciés « abusivement ». D’après les deux employés en question, ils ont été interdits d’accès au site sans, selon eux, aucun motif apparent. « On nous a empêché d’accéder à la carrière. Ils (administration, ndlr) nous ont signifié que nos contrats sont résiliés. Et ils ont menacé les autres employés de licenciement s’ils ne regagnent pas leurs postes de travail», affirme l’un des employés licenciés. Les travailleurs, qui se sont constitués en une section syndicale affiliée à l’UGTA, contestent fermement la période d’essai de 6 mois incluse dans le contrat. « À chaque fois que le contrat est renouvelé pour un employé qui a travaillé depuis plusieurs années dans l’entreprise, la période d’essai de six mois est obligatoire », a-t-on indiqué. Cette « fronde » dans le milieu industriel n’augure rien de bon pour la prochaine rentrée sociale. 

Les listes de la colère !

Toutefois, le fait marquant de cette première quinzaine du mois en cours, du moins sur le front de la contestation, reste incontestablement la grogne des « exclus » des listes de logements sociaux. Il est vrai que la ville de Bouira a vécu, à partir du 4 août dernier jusqu’à récemment encore, au rythme des fermetures de routes, sit-in et même des émeutes. La colère des non-bénéficiaires a tout emporté sur son passage. D’ailleurs, lundi 4 août restera comme un lundi « noir », tant la ville s’est embrassée. En effet, des dizaines de citoyens mécontents ont manifesté leur désapprobation aux abords du siège de la daïra et celui de l’APC de Bouira où un dispositif de sécurité a été déployé par les forces de l’ordre pour parer à toute éventualité de débordement. D’autres renforts de police ont été déployés dans plusieurs endroits de la ville, tandis que dans l’après-midi, la circulation a été rendue très difficile dans plusieurs quartiers, notamment à proximité du siège de la daïra et au niveau du quartier populaire « Evolutif ». D’autres localités, à l’image de Thamar et Saïd Abid, ont été carrément coupées du monde. Dans le bourg de Thamar, les protestataires, réclamant un quota supplémentaire de logements sociaux, avaient bloqué la RN05 durant toute une journée. Ainsi, sur 300 postulants aux logements sociaux issus du village Thamar, seulement un seul nom figurait sur la liste des bénéficiaires affichée. « Nous sommes tout le temps mis à la marge, et rares sont les citoyens issus de notre village qui ont bénéficié d’un logement social à Bouira ! Cette fois encore, c’est le même topo qui se répète !», soulignent des manifestants « ivres » de colère. A Saïd Abid, à la sortie Ouest de Bouira, des scènes d’une violence inouïe ont secoué le village. Et pour cause, des manifestants, des jeunes pour la plupart, ont dressé des barricades à l’aide d’objets hétéroclites sur la RN18, interdisant le passage des véhicules. Les émeutes ont débuté lorsque des éléments de la brigade de gendarmerie de Bouira ont essayé de déloger une famille, composée de six membres, de l’ancien siège du détachement de la garde communale du village qu’elle occupait illégalement. La tension est montée d’un cran avec l’arrivée des renforts de la gendarmerie. Ainsi, des projectiles et des cocktails Molotov ont été lancés par les protestataires contre les services de sécurité qui ripostaient avec des tirs de gaz lacrymogène pour disperser la foule. Jusqu’à l’heure actuelle, aucune sortie de crise n’a été trouvée, et ce, malgré la mise en place d’une commission d’enquête. Tous ces évènements, ou plus précisément ces contestations, sont, pour ainsi dire, inhabituels et inattendus en plein mois d’août. Ce ras-le-bol ne pourrait être qu’un tout petit échantillon d’une rentrée sociale qui s’annonce plus « chaude ».

Ramdane Bourahla

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