Quelles chances pour les nouveaux déclics?

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Le ministre des Affaires religieuses et des Waqfs, Mohamed Aïssa, ne cesse de se distinguer, positivement, par rapport à l’ancienne gestion du culte en Algérie. Sa dernière « sortie », mercredi dernier, se rapporte au projet de création d’un muphti de la République, projet qui était dans l’air du temps depuis plusieurs années, mais qui n’a pas pu se concrétiser, au temps de Gholamallah,  suite au « télescopage » de plusieurs sensibilités qui ont fini par neutraliser la proposition. Mohamed Aïssa estime que le muphti de la République ne sera pas nécessairement une « personne très âgée, avec une grande barbe blanche, se tenant sur un minbar et lançant des prêches à tout-va ». Il expliquera aussi qu’il voit dans cette fonction de muphti une sorte d’académie où siègeront des scientifiques (médecins, astronomes, sociologues,…) avec des hommes de religion. De même que, sur le sujet de la liberté de culte, Mohamed Aïssa rappelle le texte de la Constitution qui la consacre, en disant que « la croyance religieuse est une affaire personnelle ». Ce sont là des positions peu communes chez les gestionnaires du culte en Algérie, si l’on excepte l’épisode d’Abdelmadjid Meziane, ancien président du Conseil supérieur islamique, réputé pour sa culture étendue et son esprit de tolérance. L’actuel ministre a eu, au cours du mois de Ramadhan dernier, à ouvrir un front contre la rigidité et la raideur de tous les zélés de la foi qui se prétendent plus musulmans que tout le monde. Il fit état du projet de réouverture de lieux de culte juifs et chrétiens pour les pratiquants de ces religions. Il n’en fallait pas plus, pour que tous ceux qui se proclament soldats de Dieu sur terre déclarent ouvertement la guerre au ministre à travers une certaine presse arabophone et par le moyen d’une petite marche à Alger qui n’a pas drainé beaucoup de monde. Le ministre des Affaires religieuses subit ainsi les foudres d’un conservatisme sordide à tout crin, comme d’ailleurs sa collègue de l’Éducation, Mme Nouria Benghebrit, contre laquelle s’est déchaînée la machine de guerre pour avoir siégé dans la commission des réformes de l’Éducation de Benali Benzaghou en 2002. On soupçonne chez elle l’intention de réformer l’école dans le sens de…la modernité et de l’ouverture sur le monde. Faute de pouvoir l’attaquer de front, les partisans des combats d’arrière-garde sont allés fouiner dans ses origines familiales.  On en est là en Algérie de 2014. Notre pays est sans doute, actuellement, l’un des moins perméables à l’esprit de la diversité et de la tolérance, contrairement à son histoire qui a vu défiler, dans la paix et l’harmonie, différentes communautés religieuses et culturelles. De même, le déficit d’attractivité de notre pays en matière de tourisme étranger a fait que les enfants algériens d’aujourd’hui ont de rares chances de rencontrer physiquement des étrangers en Algérie et d’établir avec eux des échanges culturels, hormis les nouveaux coopérants asiatiques versés dans les chantiers de bâtiment.  Par ailleurs, la vie sociale et culturelle algérienne est, au cours de ces dernières années, indéniablement empreinte d’une « touche » religieuse qui montre ses excès un peu partout, aussi bien dans les médias que dans les mosquées ou la rue. Cette tendance à renvoyer tous les aspects de la vie quotidienne, et surtout les phénomènes naturels (tels que les séismes ou les inondations), à une fatalité ou un dessin divin, ne manque pas de grignoter chaque jour des territoires à l’esprit de rationalité et de tolérance. C’est que cet esprit a vu son territoire déjà bien amenuisé dans les programmes scolaires et dans les mosquées. Dans la mosquée, le ministre des Affaire religieuses, Mohamed Aïssa, vient d’insister sur la place qui doit revenir à l’histoire nationale, sachant que le discours religieux, particulièrement depuis la montée des périls extrémistes, s’est déconnecté de la société et de l’histoire nationale au point de trouver à l’Algérie et aux Algériens des filiations idéologiques extra muros, nourries au fondamentalisme wahhabite et à d’autres dépendances culturelles et religieuses. L’on se rend compte, lorsqu’on aborde le conflit intercommunautaire de Ghardaïa, de l’ampleur de la déchirure ayant affecté le corps social algérien sur la base de considérations religieuses ou ethniques. La « religiosité tactique », telle qu’elle est dénommée par Mostefa Lacheraf, développée par des courants politiques à couverture religieuse, a hautement desservi la société algérienne. Pire, elle l’a menée au bord de l’implosion lorsqu’elle fut poussée dans ses derniers retranchements pendant la décennie rouge des années 1990.  Au cours de ces deux dernières années, se sont multipliés des séminaires et des journées d’études sur l’Islam maghrébin, celui de la tolérance et qui consacre l’appartenance culturelle des Maghrébins selon l’accumulation historique qui s’est réalisée depuis deux millénaires. Sans doute, ces rencontres tardent à donner leurs fruits. C’est que, sur le terrain de la pratique quotidienne, principalement la mosquée et l’école, les choses se sont figées selon le schéma de la médiocrité et de l’aliénation culturelle en vigueur depuis le début des années 2000.  Les nouvelles visions du ministre des Affaires religieuses et de la ministre de l’Éducation serviront-elles de déclics à une révision des comportements figés dans l’intolérance, la médiocrité et le refus de la différence? Les Algériens ne seront alors que mieux soudés dans leur appartenance nationale et plus consensuels dans leur conception du projet de société.

Amar Naït Messaoud

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