Cher mouton

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Bien que cela fait une année déjà qu’on ne t’a pas vu, je ne crois pas que ma famille t’accueille chez elle cette année. Il y a quelques jours de cela, mon père nous a tous réunis dans le salon pour nous dire que tu vas tellement nous manquer à l’occasion de l’Aïd qui approche. Cela nous a beaucoup peiné et la nouvelle nous est tombée comme un bloc de pierre sur la tête de chacun de nous. Ma petite sœur n’arrêtait pas de pleurer depuis, et a même refusé de prendre son dîner. Elle n’avait rien mangé. Mon papa essayait d’expliquer et lui parlait de beaucoup de choses mais je ne comprenais rien à ce qu’il disait. Ma mère, par contre, acquiéçait de la tête sans dire un seul mot. Elle semblait tout comprendre. Dans le salon où nous étions assis, un calme pénible dominait dès que mon papa arrêtait de dire et de commenter pourquoi il n’était plus possible de t’inviter chez nous. Ma sœur ne s’est pas gênée après avoir su la mauvaise nouvelle, de s’étaler de tout son corps sur le canapé et d’enfoncer sa tête dans un coussin qui lui servait de mouchoir. Le lendemain, elle était la dernière à sortir du lit, contrairement à ses habitudes.Cher mouton ! Je sais, et ma sœur aussi, que tu seras aussi triste que nous le jour de la fête. D’ailleurs, comment peut-on l’appeler ainsi ce jour-là et prononcer le mot “Fête” alors que tu ne seras pas en notre compagnie et que les cœurs seront tristes et l’ambiance morose. Certainement, nous sortirons avec papa pour aller, comme de coutume, chez des proches et les voisins, mais ce sera sans ta tendre image et ton magnifique bêlement que nous avions l’habitude de garder jalousement dans notre petite tête. Ton absence dans la maison nous fera sûrement souffrir davantage le moment où les autres enfants parleront de toi, de ta force, de ta jolie silhouette et surtout de tes cornes bien enroulées. C’est, sans doute, cet instant-là qui sera le plus pénible pour moi, pour ma petite sœur et pour ma mère aussi, elle qui a le cœur trop sensible. Elle va se sentir touchée au plus profond d’elle-même car sans ta précieuse présence, l’ambiance est toute autre. Ce jour-là, sans toi, rien ne nous fera plaisir et le vide qui se créera autour donnera du tournis à nous tous et nous fera assurément pleurer. Tu nous manqueras, c’est sûr !Avant-hier, c’était vendredi, ma mère est partie de bon matin en nous laissant endormis. Elle est partie presque sur le bout des orteils et sans faire trop de bruit, elle craignait peut-être qu’on lui aurait demandé de nous prendre avec elle. Quand elle est revenue à la maison, mon père venait à peine de prendre son premier café de la journée, il était presque onze heures. Dans ses bras, elle tenait plein de choses et dans son sac, il y avait une boule de vêtements, beaucoup de vêtements. Sans dire mot, ma mère rentre vite au salon et s’enferme ; je ne comprenais absolument rien à ce geste inhabituel. Quelques moments après, elle ressort toute souriante mais cela n’a rien changé à ma stupéfaction. Le soir venu, alors qu’on était tous réunis face à la télévision, ma mère se leva et se dirigea vers une petite armoire d’où elle ramène une pile d’habits. “Voilà, je vous ai tout acheté ce matin, tiens ma jolie, voici un pull pour toi ; essaie-le, il est magnifique”, dit-elle à l’adresse de ma petite sœur en lui tendant une sorte de pull pâle et sans couleur, il était pour ainsi dire pas neuf. Tendant la main sans se retourner, ma sœur prend la chose qui lui était destinée, la renverse, la regarde de tous les côtés, puis fait un tour sur elle-même et se dirigea comme une flèche vers sa chambre. Elle éclata en sanglots. Cher mouton ! Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout cela, mais je crois qu’il vaut mieux que tu saches tout. Moi et ma sœur avons juré de ne rien te cacher et tout te dire même les choses intimes de la maison, jusqu’à ce que tu reviennes. Au fait, j’ai oublié de te dire que Moh, Sonia, Dahmane, Manel, Anzar et d’autres petits enfants et amis à toi m’ont chargé de te passer le plus chaleureux des bonjours. Hier, pendant la récréation, nous étions tous dans la cour et “ils” m’avaient juré de t’accueillir l’année prochaine. Leurs parents sont d’accord.P.S. : Après avoir longtemps parlé, moi et ma petite sœur avons pris la ferme décision de ne pas sortir de chez nous le jour de l’Aïd. A l’année prochaine.

Anis S.

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