« Mon grand père était forgeron et maréchal ferrant avant 1954. Il l’a été aussi durant la guerre de libération, dans la forge familiale au village. Oui, cette forge a énormément servi la révolution de par les outils qu’on y forgeait pour les maquisards. Dans cette même forge, le successeur du Colonel Amirouche, à la tête de la wilaya III, le Colonel Mohand Oulhadj, a bien suivi les traces de ces aïeuls, il a été forgeron comme tous ses cousins ».
Ce sont là les mots que Mohamed Akli, cousin du Colonel Mohand Oulhadj, artisan en exercice sur les hauteurs de la Kabylie, du côté de Bouzeguène. Il ajoutera, avec une pointe d’amertume : « personne n’a pensé à inscrire cette activité sur la listes des métiers en voie de disparition. Pourtant, les forgerons sont des détenteurs de legs ancestraux. Ce sont des artistes du fer ». Mohamed poursuivra, en nous retraçant l’historique de ce métier de l’artisanat : « Depuis toujours, l’art de la forge existe en Algérie. Il fut favorisé par la nécessité par la disponibilité de ressources minières de qualité et par la situation géographique du pays, ouvert au même temps sur la méditerranée et sur l’intérieur des terres du continent africain ». Notre interlocuteur ajoutera : « ce métier ancestral galvanise plus d’un, car il réunit les quatre éléments de la nature : le feu, la terre, l’air et l’eau. C’est un art qui repose sur le savoir faire qui repose à son tour sur la maitrise des techniques traditionnelles. C’est l’art de travailler à chaud où à froid les métaux pour leur donner toutes formes, sans leur enlever de matière ». Par ailleurs, le forgeron est aussi artisan polyvalent, à la fois Maréchal-Ferrant, coutelier d’art, fournisseur et réparateur d’outils, c’est dire qu’il est à la fois ouvrier et concepteur subtil. Il sert le citoyen dans sa vie de tous les jours. Comme dans toutes les professions artisanales, le forgeron est fabricant et commerçant. Chacun a sa propre maîtrise de feu, sa propre rigueur d’exécution et de finition des produits, mais ils ont la même volonté d’illustrer leur savoir, leur attachement à ce métier hérité de père en fils.
Un métier avec ses moult aléas !!!
Pour Ahmed, un autre forgeron de la région des Ouadhias, plus précisément du village d’Aït Abdelmoumène, avance que l’acquisition d’un ouvrage forgé traditionnellement se murit, car sa réalisation demande la multiplication d’efforts qui occasionnent un certain coût. « A mesure que notre pays s’est engagé dans l’économie de marché les produits d’industrie se vendaient à des prix bas. Ce qui marginalisait le savoir-faire humain », dira-t-il. En outre, avec la modernisation et les changements que connaît aujourd’hui la société les œuvres artisanalement forgées se raréfient. Les rares artisans qui résistent voient leurs produits abandonnés au joug du temps où sont contraints de les exporter. Ce qui a un impact négatif sur ce métier séculaire qui se voit dépérir de jour en jour. En plus d’être pénible, exigeant énormément d’efforts physiques, il est très mal rémunéré. « Les responsables n’accordent guère d’importance à ce métier », ajoutera notre interlocuteur. Selon lui, cet état de fait a favorisé sa désertion par la masse juvénile. Pour le sauvegarder et le valoriser, Mohamed Akli préconise la mise en place d’un mécanisme de protection :
« Nous sommes actuellement très peu nombreux à pratiquer encore cette activité dans la wilaya de Tizi-Ouzou.
L’Etat doit nous aider en encourageant les jeunes, en réhabilitant la forge traditionnelle qui sera d’un apport considérable pour la relance économique locale et nationale ».
La mise en place d’un mécanisme de protection est plus qu’une nécessité….
« Il faut mettre en place un mécanisme de protection pour la sauvegarde de cet art séculaire », insiste notre interlocuteur. Ce dernier nous faire savoir, dossier à la main, que l’Algérie était pourtant le premier Etat membre à ratifier la convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du 2003, après avoir achevé le 15 Mars les démarches correspondantes auprès de l’organisation. Selon le document, la convention est rentrée en vigueur trois mois après avoir été ratifiée par trente Etats. « Le directeur de l’UNESCO s’est félicité de cette décision, qui intervient très peu de temps après l’adoption de la convention par la conférence générale de la même organisation…. L’engagement de l’Algérie en faveur de la sauvegarde du patrimoine immatériel est un signe de l’importance cruciale que revêt ce patrimoine pour grand nombre de peuples », lit-on dans le communiqué de presse du 19 Mars 2004. Aux termes de la convention, rapporte le même document, « les activités de sauvegarde seront alimentées par un fond doté pour l’essentiel des contributions des Etats parties, mais aussi de financements alloués à cette fin par la conférence générale de l’UNESCO, ainsi que d’autres apports, dont des legs provenant d’autres Etats, organisations ou particuliers ». Mohamed Akli indique que les instructions du président de la République sont claires visant la revalorisation et la sauvegarde de cet art ancestral. Il ne reste plus qu’à les mettre en œuvre avant que de ce métier ne reste que le nom. Il reste très peu d’artisans. Il faut donc mettre en place de nouvelles vocations qu’il faudrait former et financer.
A.G